Entretien avec Pascal Bergeron, président de la Fondation Coule pas chez nous

Par David Grant-Poitras , Étudiant au doctorat
10 février 2021

Philanthropie et résistance climatique

Entretien avec Pascal Bergeron, président de la Fondation Coule pas chez nous

Pascal Bergeron Coule pas chez nous

Avant d’être une fondation, Coule pas chez nous a d’abord été une simple campagne de communication élaborée et portée par plusieurs comités citoyens, soucieux de se doter d’outils de mobilisation efficaces afin de contrer le projet Énergie-Est de TransCanada. Mise sur pied en 2014, la mission de la Fondation Coule pas chez nous est de lutter contre les projets d’hydrocarbures d’origine fossiles, de la prospection à l’extraction jusqu’au transport et d’appuyer la transition énergétique, écologique, sociale et économique. La Fondation ancre ses actions dans des valeurs d’intégrité, de transparence, d’engagement, de collaboration, de rigueur et de démocratie participative et dans une optique de justice sociale et en solidarité avec les luttes autochtones.

Référence : https://coulepascheznous.com/lafondation/

Pascal Bergeron

Pascal Bergeron agit comme porte-parole du groupe gaspésien Environnement Vert Plus. À ce titre, il exerce une veille médiatique via la loi sur l’accès à l’information. Il surveille particulièrement plusieurs projets d’hydrocarbures fossiles afin de présenter cette industrie sous toutes ses failles, ses pratiques de collusion et ses mensonges. Pascal a participé pendant plus d’un an au maintien du Camp de la Rivière, en Gaspésie. L’occupation entendait jeter une lumière crue sur le projet d’exploitation de Junex à Galt. Pour l’avenir, il souhaite renforcer les coalitions contre les projets de transport et d’extraction de gaz naturel ayant des impacts sur la Gaspésie. Nouvellement président du CA de la Fondation coule pas chez nous, Pascal travaille aussi sur la campagne Brassons notre monde!

Entrevue par David Grant-Poitras

David Grant-Poitras (DGP) : D’où provient le capital à l’origine de la Fondation coule pas chez nous?

Pascal Bergeron (PB) : Au départ, Coule pas chez nous était une campagne citoyenne qui était dédiée à contrer le pipeline Énergie Est. Gabriel Nadeau-Dubois s’en est mêlé : il avait reçu le prix littéraire du gouverneur général pour son livre « Tenir tête », ce qui lui avait valu une invitation sur le plateau de Tout le monde en parle. Il avait profité de son passage à l’émission pour annoncer qu’il remettrait l’entièreté du montant associé à son prix, soit 25 000$, tout en invitant la population à suivre son exemple. En une semaine, c’est 400 000$ qui sera récolté grâce aux contributions du public. Cette somme a constitué le fonds de base à partir duquel on a évolué par la suite. Initialement, Coule pas chez nous n’était donc pas une fondation, mais on s’est retrouvé avec un montant important à gérer pour des petits groupes militants habitués à gratter les fonds de tiroir. Donc ce qui a été créé c’est un véhicule – une fondation –, mais qui n’a pas encore son numéro de charité, et qui roule sur un budget de 400 000$. Puis bon, après ça, nous avons renouvelé un peu les entrées de fonds via différentes campagnes, mais nous n’avons jamais réussi à retrouver un niveau de capital aussi élevé.  

DGP : Quelle est votre philosophie de changement social et politique à la Fondation? Comment procédez-vous pour sélectionner les groupes qui recevront du financement?

PB : Nous nous sommes dotés d’un comité de financement, constitué entièrement de personnes issues de nos groupes membres. Ce comité analyse les demandes en fonction d’une grille et émet des suggestions au conseil d’administration, à qui revient la décision finale des projets qui seront financés ou non. Les projets retenus doivent absolument cadrer avec notre mission par rapport à la lutte au développement de nouveaux projets d’hydrocarbures fossiles, tant au niveau de l’exploration, de l’exploitation ou du transport. Mais il y a aussi un second volet à notre mission, qui consiste à favoriser la transition vers une société qui pourra se passer des combustibles fossiles. On s’implique moins sur ce volet, puisque les initiatives en transition reçoivent déjà énormément de financement. Elles sont perçues comme quelque chose de positif et, pour les choses positives, il y a beaucoup d’argent. Mais pour ce qui est de la lutte – le fait d’être « contre » quelque chose – c’est perçu comme quelque chose de négatif, alors y’a moins ou pas d’argent pour ça. C’est la raison pourquoi, nous, on priorise ce genre d’activités. 

DGP : Au-delà de l’octroi de financement, est-ce que les membres de la fondation s’impliquent directement au sein de certaines luttes?

PB : D’abord, il faut mentionner que tous nos groupes membres sont déjà mobilisés sur le terrain contre différents projets d’extraction et de transport d’hydrocarbures fossiles. À l’intérieur de notre plan d’action, il y a des luttes qu’on définit comme prioritaires et à l’intérieur desquelles la fondation va s’engager. Cela veut dire qu’on va s’autoriser à prendre position directement par rapport à ces luttes. Par exemple, il y a des projets de forage qui, de manière imminente, pourraient se localiser au Québec pour extraire du pétrole et du gaz. Et ce, même après la saga des gaz de schiste en 2010 où il y a eu une grosse mobilisation citoyenne qui a conduit les compagnies à cesser leurs activités après 31 forages, dont 19 avec fracturations. Cette semaine, j’ai justement contribué à la publication d’une lettre ouverte pour informer et sensibiliser la population sur l’imminence de nouveaux forages au Québec

Un deuxième exemple : pour la lutte contre le projet GNL Québec, j’ai contribué à l’organisation et au démarrage d’une tournée d’experts Abitibi – Saguenay dont l’objectif était d’expliquer les enjeux économiques, climatiques et judiciaires autour de ce projet. Nous avons aussi organisé une autre tournée, mais qui n’a pas pu aller de l’avant en raison de la pandémie et du confinement. Cette dernière rassemblait des personnes de l’Ouest canadien, tant des non-autochtones que des autochtones, dont un chef héréditaire Wet’suwet’en. Il était prévu que la tournée fasse dix arrêts au Québec pour parler des conséquences du terminal de GNL Québec sur la Colombie-Britannique et l’Alberta, l’idée étant de susciter un mouvement de solidarité avec les autochtones et les non-autochtones du pays qui subissent les répercussions de ces forages. 

DGP : Tu mentionnais précédemment que la Fondation ne possède pas encore de numéro de charité. En quoi cela complique-t-il les choses pour vous?

PB : On est incorporé comme organisme à but non lucratif, mais nous n’avons pas de numéro de charité. C’est arrivé que ça nous fasse perdre certains financements de particuliers qui nous demandaient notre numéro de charité pour obtenir un reçu. Puis ça nous empêche aussi d’aller chercher du financement de plus grosses organisations philanthropiques. Il y a une fondation environnementale montréalaise qui a refusé un simple appel pour discuter des possibilités, et ce, avant même qu’on ait pu s’expliquer. C’était impossible pour eux d’initier quoi que ce soit avant que nous obtenions un numéro de charité. Or, ça implique de grosses démarches pour obtenir un numéro de charité, et puis nous n’avons pas de certitude sur le fait qu’on sera capable d’en obtenir un. Les démarches sont en cours, c’est un bénévole qui est là-dessus, mais nous n’avons pas énormément de temps à consacrer au dossier. 

DGP : Concernant les finalités de bienfaisance reconnues par la loi, il n’y a pas de catégorie spécifique attitrée à la protection de l’environnement. Est-ce que la manière dont la bienfaisance est définie au Canada rend plus difficile votre enregistrement?

PB : Il y a de la confusion autour des possibilités d’avoir un numéro de charité et d’être, en même temps, une organisation qui poursuit des finalités politiques. Puis ça c’est problématique. Pendant longtemps, à l’intérieur de notre organisation, il y a de nos membres qui disaient : « ça ne sert à rien de faire les démarches puisqu’on a des visées politiques. Le gouvernement ne voudra jamais nous donner un numéro, c’est inscrit dans la loi ». Puis en poussant les démarches un peu plus, j’ai fini par comprendre que, en fait, ce qu’ils veulent dire par l’interdiction d’être politique, c’est qu’on n’a pas le droit faire de politique partisane. D’un côté, je comprends pourquoi c’est fait comme ça ; d’un autre côté, ça ne me revient pas que ce soit fait ainsi, parce qu’on a d’excellentes raisons de critiquer les partis au pouvoir. Nous devrions pouvoir critiquer directement les libéraux fédéraux pour leur complicité à l’égard des pétrolières : juste depuis le début du confinement, c’est 13 milliards de dollars qui ont été versés dans des compagnies qui font du transport et de l’exploitation d’hydrocarbure. Et pour ce qui est de Coastal Gaz Link, le pipeline contre lequel les Wet’suwet’en se battent et qui a mené à bloquer le réseau ferroviaire d’un bout à l’autre du pays, eh bien, le gouvernement Trudeau a investi 500 millions de dollars là-dedans au mois d’avril. C’est révoltant! Nous avons toutes les raisons de nous opposer à Trudeau là-dessus, et on devrait pouvoir utiliser de l’argent qui provient d’une origine philanthropique pour remettre en cause la crédibilité de ce gouvernement-là, sur la base que ces investissements dans les hydrocarbures sont néfastes pour le climat. 

La seule chose qu’on pourrait faire avec un numéro de charité, c’est critiquer une politique publique ; on n’aurait pas le droit de critiquer le gouvernement libéral pour sa responsabilité dans la mise en œuvre de cette politique publique. Elle est là la ligne de démarcation au niveau de la bienfaisance et du politique au Canada, d’après ce que j’ai compris au cours de mes discussions avec un fonctionnaire. Tout ce qu’on a fait jusqu’ici à la Fondation serait donc éligible, puisqu’on n’a jamais tapé ouvertement sur un parti politique. Mais il faudrait pouvoir le faire. Cela étant dit, je ne voudrais pas qu’Harper et sa gang puissent mettre sur pied des fondations privées, recevoir plein d’argent de la part d’industries pétrolières, faire circuler des fakenews climatosceptiques pour influencer les élections et faire élire un gouvernement conservateur. Je serais profondément dégouté s’ils pouvaient faire ça. Il y a donc une question d’intérêt public là-dedans, mais qui est le gardien de l’intérêt public? Bref, je comprends pourquoi la loi nous empêche d’interférer à ce niveau, mais, pour nous, ça constitue un frein à l’avancement de notre mission. 

DGP : En terminant, qu’est-ce que l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance pourrait changer pour vous? 

Pour l’instant, on n’a pas encore de numéro de charité – on s’en va par-là – mais, éventuellement, s’il y a d’autres organisations sensibles à ces luttes, nous avons tout un processus qui est structuré pour redistribuer l’argent sur le terrain. Ça a été long à mettre en place, et c’est une des bonnes raisons pour maintenir notre fondation active, même si on n’a pas autant d’argent qu’on voudrait. Pour moi, il faudrait qu’on ait plus de moyens pour augmenter notre potentiel en tant que canal de distribution vers les acteurs mobilisés. Pour revenir sur les questions légales, la fondation montréalaise que nous avions approchée expliquait qu’en tant qu’organisme de bienfaisance, ils ne pouvaient donner que de trois manières : soit à d’autres organismes charitables, à des organisations municipales ou en finançant un projet conforme à leur mission. Nous on s’écartait trop de leur mission pour être financé en fonction de cette dernière modalité. Or, les groupes citoyens qui n’ont pas de numéro de charité, lorsqu’ils font une demande de financement auprès de nous, c’est notre fondation qui se trouve à « parrainer » le projet, comme si c’était notre organisation qui le menait. C’est comme ça qu’on fait pour pouvoir financer les groupes citoyens avec un numéro de charité. La plupart des fondations ne pourraient pas octroyer des subventions à ces groupes étant donné que leurs activités de mobilisation contre des projets d’hydrocarbures divergent trop de leur mission. Elles ne pourraient pas justifier qu’il s’agit de leurs propres activités de bienfaisance, alors que nous, de par la nature de notre mission, nous sommes capables de le faire. Cela signifie qu’une fois que nous obtiendrons notre numéro de charité, nous pourrions servir de relais organisationnel pour les autres fondations qui souhaitent diriger des subventions vers les groupes engagés dans les luttes pour la protection de l’environnement. Voilà pourquoi cet élément du montage légal est si important pour nous.