Comme beaucoup de pratiques sociales, le bénévolat est, depuis quelques années, en pleine mutation. Plusieurs phénomènes sociaux et démographiques ont un impact significatif sur la pratique du bénévolat et parmi eux, l’arrivée massive des baby-boomers à la retraite entraîne déjà des changements substantiels dans la façon de recruter, de motiver, d’encadrer et de reconnaître les bénévoles.
D’entrée de jeu, et c’est important de le répéter, depuis toujours et encore aujourd’hui, quelles que soient les tendances qui affectent la société et le domaine de l’action bénévole, les gens font du bénévolat pour aider les autres et se faire du bien.
Autrefois, on n’insistait pas beaucoup sur les bienfaits pour la personne de faire du bénévolat. On mêlait le bénévolat avec des considérations morales ou religieuses, des notions de devoir et de charité chrétienne. Il n’y a rien de mal à ça, et il y aura toujours des gens qui seront motivés par des considérations morales ou religieuses. Malgré tout, même si on n’en parlait pas, le bénévolat apportait une forme de gratification personnelle (le sentiment du devoir accompli), d’apaisement spirituel (je suis une âme charitable, je fais le bien), de déculpabilisation (je partage ma richesse) et de garantie salvatrice (je gagne mon ciel).
Mais les temps changent, et surtout la société et les gens changent, et leurs motivations changent aussi. Le bénévolat, ce n’est plus seulement un geste charitable pour aider son prochain : ça devient de plus en plus un échange librement consenti où il n’y a plus quelqu’un qui donne et quelqu’un qui reçoit, mais où il y a un bénéfice mutuel, qui profite à ceux et celles qui sont impliqués, à la communauté et à la société en général.
L’action bénévole, c’est donc un geste libre et volontaire par lequel se produit un échange non monétaire qui contribue à la qualité de vie des milieux où il s’exerce et qui s’apparente à une forme d’engagement civique, voire de participation citoyenne. C’est aussi l’exercice de son libre arbitre, un geste de prise en charge et d’empowerment individuel et collectif. Ça devient alors de plus en plus, un engagement pour le bien-être collectif, une contribution à la justice et au changement social.
Je dirais même, et il y a plusieurs études qui le confirment, que l’action bénévole est une force économique importante quand on calcule ce qu’il en coûterait pour rémunérer les millions d’heures de travail effectuées chaque année par des bénévoles au Québec dans les associations de toutes natures, les organismes communautaires et le réseau des établissements de la santé et des services sociaux.
Aujourd’hui, on commence à avoir des preuves scientifiques de ce qu’on connaissait intuitivement depuis plusieurs années : aider les autres nous fait du bien et nous fait nous sentir mieux physiquement et psychologiquement. En effet, une étude européenne toute récente [1], publiée en mars dernier, portant sur un échantillon de 43 000 individus dans 29 pays démontre que les personnes qui font du bénévolat ont un état de santé général significativement plus élevé que celles qui n’en font pas, ce qui se traduit par un gain de 5 ans par rapport à leur âge, ce qui n’est pas rien.
Selon cette étude, le bénévolat améliore de façon significative le sentiment d’estime de soi et le sentiment de compétence. Le bénévolat améliore aussi le sentiment d’appartenance et par extension l’accès à du soutien et à de l’information, et tout ça a un effet positif direct sur la santé globale.
Donc, la nouvelle tendance générale dans le bénévolat, c’est qu’on peut se faire du bien tout en faisant du bien aux autres et à sa communauté. Et la notion de plaisir prend une place de plus en plus grande dans ce qui motive les gens, jeunes et moins jeunes à faire du bénévolat. Pour les gens qui recrutent des bénévoles, c’est très important de comprendre ce changement de « paradigme » chez les bénévoles. Ça change complètement la façon de les approcher et de les intéresser au bénévolat. Aussi, quand on parle des attentes et des aspirations des baby-boomers, on est en plein dans les notions de plaisir et de bienfaits.
Autrefois, une personne qui voulait faire du bénévolat se présentait dans un organisme et disait : « dites-moi ce que je peux faire pour aider et je vais le faire ».
Aujourd’hui, avec les baby-boomers, c’est un petit peu plus compliqué! Et je ne veux surtout pas être méchant avec les baby-boomers, ils ont aussi des qualités! …Comme on le sait, les baby-boomers ont dominé et, à plusieurs égards, révolutionné plusieurs pratiques sociales de leur époque :
- Ils sont plus éduqués que la génération précédente,
- Ils ont eu une vie plus riche, ont eu en général de meilleurs emplois, des conditions de travail moins difficiles, exercé des compétences plus complexes,
- Ils ont voyagé et voyagent encore beaucoup,
- Ils ont eu de façon générale un plus grand sentiment de contrôle sur leur vie que la génération précédente,
- Ils prennent leur retraite à un âge plus jeune avec une espérance de vie nettement plus élevée que la génération précédente et
- Leur retraite est donc en général plus active.
Alors aujourd’hui, les baby-boomers sont plus exigeants par rapport à leur bénévolat. Souvent, ils « magasinent » leur bénévolat en fonction de différentes considérations qui sont importantes pour eux ;
- Ils ont une vision plus globale des « problèmes » et des enjeux de la société ;
- Ils voient le bénévolat davantage comme un engagement civique, une contribution à la communauté et à la société;
- Ils veulent « faire une différence », voir le résultat concret de leur implication,
- et, encore une fois, avoir du fun.
- Ils sont davantage interpellés par une cause que par l’assistance directe aux personnes malades, handicapées ou dans le besoin;
- Ils veulent s’engager pour le bien commun plutôt que faire un geste charitable;
- Ils veulent mettre à profit leurs compétences, ou en apprendre de nouvelles plutôt que juste aider;
- Leur retraite va être plus occupée alors ils sont moins portés à s’engager dans la durée et dans la régularité que la génération précédente.
D’ailleurs, la première raison pour laquelle les gens disent ne pas faire de bénévolat c’est… le manque de temps. Et la deuxième?… La peur de s’engager.
Alors, il y a du pain sur la planche pour les organismes dont les activités et les services dépendent en partie ou totalement de bénévoles. Et ils sont nombreux à appréhender le mur sur lequel ils se dirigent. Les gestionnaires de nombreux organismes de bienfaisance montréalais parmi les plus anciens nous font part régulièrement depuis quelques années de leurs difficultés à « remplacer » leurs superbénévoles, ceux qui sont fidèles et occupent des postes opérationnels stratégiques plusieurs heures par semaine tout au long de l’année, qui ne prennent presque jamais de « vacances » et qui cumulent jusqu’à 300, 400 voire 500 heures de bénévolat par année.
La mauvaise nouvelle, c’est qu’il y a très peu de candidats dans les nouvelles générations pour succéder à ces superbénévoles. Il va falloir probablement 2, 3 ou 4 bénévoles pour remplacer ces superbénévoles. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a beaucoup de baby-boomers, et comme ils prennent leur retraite plus jeune et qu’ils sont en meilleure santé, on peut faire l’hypothèse qu’avec un peu d’adaptation, il va y avoir assez de monde pour combler les départs des superbénévoles.
Alors, que doivent faire les organismes pour s’adapter à cette nouvelle génération de bénévoles et aux suivantes?
- Bien définir ses postes de travail bénévoles et en faire ressortir les aspects stimulants, ludiques, relationnels ;
- Être plus attentif aux attentes et aux besoins des bénévoles lors du recrutement;
- Ne pas avoir peur de donner des responsabilités plus exigeantes à des bénévoles, ce qui veut dire des définitions de tâches plus structurées, un processus de recrutement et de sélection plus poussé, etc.
- Si les postes bénévoles sont ennuyants, routiniers ou peu valorisants, il faut penser à organiser des activités de reconnaissance ludiques qui vont favoriser le sentiment d’appartenance à l’organisme ou valoriser d’autres compétences des bénévoles;
- Offrir des possibilités de développement de compétences;
- Proposer des horaires et des durées d’engagement sur des périodes plus courtes, plus flexibles. Parfois découper une tâche bénévole en plusieurs segments;
- Offrir des tâches bénévoles pouvant être effectuées à la maison (rédaction et révision de documents, conception graphique et mise en page , traduction, etc.);
- Faire ressortir la cause derrière le travail bénévole proposé, l’impact de l’engagement sur cette cause;
- Impliquer les bénévoles dans la définition des orientations stratégiques et des priorités est une bonne façon de développer le sentiment d’appartenance des bénévoles et de fidéliser leur engagement à la cause et à l’organisme (par ex., les impliquer dans une planification stratégique);
- Pour les jeunes et les familles, multiplier les occasions de faire du bénévolat en groupe avec leurs amis;
- Multiplier les occasions de reconnaissance et les petits gestes au quotidien;
- Dire MERCI de façon personnalisée, par un petit mot, une carte, une attention particulière, pas seulement en groupe.
- Relancer les anciens bénévoles qui ont quitté peut souvent s’avérer payant si on a apporté des changements à ses pratiques de gestion des bénévoles.
- Donner davantage de formation aux responsables de bénévoles. Comme la gestion des ressources humaines, la gestion des bénévoles est un métier qui peut s’apprendre sur le tas, mais qui demande de plus en plus de connaissances élaborées et spécifiques.
Donc, être bien organisé et structuré et bien connaître et gérer le cycle d’engagement des bénévoles est une bonne façon de donner confiance aux bénévoles.
Finalement, se rappeler que, même si le contexte, les besoins et les aspirations ont changé, « Il n’y a pas de mal à se faire du bien en faisant du bien aux autres! ». Les meilleures raisons pour faire du bénévolat c’est que c’est plaisant et que les bienfaits sont immenses autant pour les bénévoles que pour ceux qui reçoivent leur aide.
Le Centre d’action bénévole de Montréal
Le CABM, fondé en 1937, est le premier centre d’action bénévole au Canada. Il est à l’origine du concept de centre d’action bénévole au Canada et au Québec.
Sa mission est de promouvoir le bénévolat à Montréal et d’en renforcer la pratique dans les organismes de son territoire.
Le CABM compte plus de 400 membres et partenaires affiliés : des organismes communautaires et des associations dans une grande variété de secteurs d’intervention avec une dominante santé et services sociaux, mais aussi communautés culturelles, environnement, sports et loisirs, coopération internationale, arts et culture (festivals), ainsi que les établissements du réseau de la santé et des services sociaux montréalais.
Le CABM est à l’origine de la création des popotes roulantes dans les années soixante ; aujourd’hui 40 popotes roulantes et 20 repas communautaires pour aînés y sont affiliés.
Les principaux services et l’expertise du CABM :
- Recrutement et orientation de bénévoles pour ses membres ;
- Programme de formation de gestionnaires de bénévoles: Les essentiels : 5 ateliers de 6 heures et autres formations utiles pour les membres ;
- Service d’accompagnement personnalisé (services-conseils) ;
- Services aux employeurs qui désirent soutenir l’implication bénévole de leurs employés dans les associations et organismes montréalais ;
- Sensibilisation et promotion de l’action bénévole auprès de différents publics : nouveaux arrivants, personnes en démarche d’insertion socioprofessionnelle, étudiant.e.s, etc.
- Moteur de recherche sur Internet pour trouver une occasion de bénévolat parmi quelque 600 à 800 offres en tout temps (220 000 visites par année).
- Éric Gagnon et Andrée Fortin (2002). « L’espace et le temps de l’engagement bénévole : essai de définition », Nouvelles pratiques sociales, vol. 15, n° 2, p. 66-76.
- Estelle Durand (2006). « Le bénévolat, un temps social au service de la solidarité », Revue internationale de l’économie sociale : Recma, n° 302, p. 83-90.
- Blog du PhiLab, avril 2017 : « Québec: bénévoles recherchés? » par Diane Alalouf-Hall
[1] Detollenaere J, Willems S, Baert S (2017)Volunteering, income and health. PLoS ONE 12(3) :e0173139. Doi :10.1371/journal.pone.0173139