COP 15 : Avons-nous la volonté d’agir avec lucidité, agilité et rapidité ?

Par Jean-Marc Fontan , Chercheur et Co-directeur du PhiLab
13 décembre 2022

COP 15 : Avons-nous la volonté d’agir avec lucidité, agilité et rapidité ?1

La biodiversité est à propos de nous tous – la biodiversité, c’est toute la vie sur Terre – des virus aux éléphants. Elle est généralement définie comme la diversité génétique, la diversité des espèces et la diversité des écosystèmes2.

La COP 15 est en cours! La bonne nouvelle est de voir des dirigeant·e·s et des représentant·e·s du monde entier se réunir sous le leadership de la Chine à Montréal pour faire évoluer la conversation, les décisions et les engagements en vue de réduire l’impact des activités humaines sur la biodiversité des écosystèmes terrestres.

Il s’agit d’une bonne nouvelle vu l’importance de la biodiversité pour la survie de l’humanité. La biodiversité représente un enjeu politique central exigeant la mobilisation de l’ensemble des populations humaines. S’il y a une bonne nouvelle, il y en a aussi une alarmante. Nous ne progressons pas assez vite dans la bonne direction. Malgré les initiatives, les actions, les mesures et les politiques qui ont été déployées depuis la première tenue de la Convention sur la diversité biologique en 19923, il reste encore beaucoup à faire.

Un « anéantissement biologique » de la faune au cours des dernières décennies indique que la sixième extinction massive de l’histoire de la Terre est en cours et est plus grave que ce que l’on craignait auparavant. Cette extinction massive de la faune mondiale provoque déjà̀ des effets en cascade sur les réseaux alimentaires, mettant en péril les services écosystémiques et menaçant l’approvisionnement alimentaire mondial ». (Ibid.)

Rappelons que la Convention vise l’atteinte de trois grands objectifs. Premièrement, elle entend conserver la biodiversité sur Terre. Deuxièmement, elle nous invite à utiliser de façon durable les ressources de cette dernière. Troisièmement, elle envisage un partage juste et équitable des « ressources naturelles » entre les sociétés humaines.

Vue de la réunion lors du Sommet de Rio de Janeiro en 1992

Le Sommet de Rio de Janeiro pour la sauvegarde de la Terre s’est déroulé il y a 30 ans. PHOTO : RADIO-CANADA

Face à l’enjeu central que représente cette Convention, nous sommes en droit de nous demander si les efforts déployés sont suffisants pour empêcher le déclin de la biodiversité. Froidement parlant, il se dépense actuellement plus d’argent au Canada pour exploiter des énergies fossiles que pour préserver les écosystèmes naturels4.

Ainsi, malgré les efforts déployés par les 168 États signataires de la Convention sur la diversité biologique, les retombées attendues sont globalement insuffisantes. D’une part, il faudrait plus de ressources financières et plus d’actions juridiques afin de mettre en place un régime de régulation pro-diversité écologique qui soit hautement performant. D’autre part, bien que tous les acteurs, petits et grands, soient concernés, ils ne sont pas au rendez-vous. Un grand élan collectif, une méga mobilisation inclusive et généralisée sont requis afin d’éradiquer les processus extincteurs de la diversité du vivant.

De façon spécifique, parmi les organisations et les institutions engagées à l’échelle mondiale dans la lutte contre les changements climatiques et la préservation de la biodiversité, nous retrouvons des fondations subventionnaires.

De façon globale et à l’échelle mondiale, Climate Works évalue à 2 % des 810 milliards de dollars US, les sommes attribuées en 2021 par des fondations et des particuliers ou des organisations pour répondre de façon positive aux changements climatiques. Si ce pourcentage est faible, en rapport à la gravité de la situation, la bonne nouvelle est que le nombre de fondations et les sommes versées sont à la hausse depuis la signature de la COP-25 et l’Accord de Paris.

Lutter contre les changements climatiques représente certainement un pas politique dans la bonne direction pour freiner le déclin de diversité biologique. Cependant, d’autres pas sont posés, dont ceux faits par le secteur philanthropique. Sur ce point, sous l’impulsion de 14 fondations de Grande-Bretagne et du leadership de l’Association of Charitable Foundations, un mouvement international a pris naissance à l’effet d’inviter les fondations du monde entier à s’impliquer dans la lutte contre les changements climatiques. Un appel a été lancé, Funder Commitment on Climate Change, lequel regroupe actuellement des fondations du monde entier et a donné lieu à des regroupements nationaux, dont Philanthropie canadienne pour le climat 5.

Qu’en est-il des actions pro-biodiversité mises de l’avant par les fondations canadiennes et québécoises ?

Parmi les engagements philanthropiques pris récemment au Canada, mentionnons la décision de la Ivey Foundation d’allouer, d’ici 2027, l’ensemble de sa dotation (100 millions$) pour lutter contre les changements climatiques.

After careful consideration, Ivey Foundation’s board of directors reached their decision based on the recognition that foundations need not continue in perpetuity for perpetuity’s sake. There is a strong argument that their philanthropic resources can, and in some cases should, be fully utilized for the most critical issues we face today. For example, Ivey Foundation’s singular focus on a current, urgent issue of vital importance to Canadians – climate change – makes it well-suited to a timely capital distribution to achieve maximum impact. (Ivey Foundation6, 29 novembre 2022)

Mentionnons aussi la décision prise, il y a deux années par la Fondation Trottier, d’augmenter les dons de son programme Climat.

En 2020, le conseil d’administration de la Fondation familiale Trottier (FFT) a voulu accroître son ambition en matière d’action climatique et a augmenté son budget de subventions climatiques de 3M$ par année à 8M$ ; soit 5M$ supplémentaires par année pour la prochaine décennie (pour un total de 50M$). La Fondation a également décidé d’embaucher plus de personnel afin de mener de nouvelles initiatives dans le cadre de son nouveau programme climat « Objectif 1,5 °C ». (Fondation Trottier7)

Enfin, plus spécifiquement sur l’enjeu de la biodiversité, rappelons le travail de la fondation Sitka.

La fondation Sitka pratique une « philanthropie d’une manière qui renforce la confiance, diversifie le pouvoir et engage les dirigeants, les décideurs et les communautés à agir de manière à profiter à la biodiversité. Au cours des quinze dernières années, nous avons investi plus de 50 millions de dollars dans plus de 250 groupes distincts pour des montants allant de 5 000 $ à 5 000 000 $ par subvention »​8.

Que pourraient faire de plus les fondations subventionnaires ?

Relativement aux interventions en vue de lutter contre le déclin de la biodiversité, deux voies de travail nous paraissent incontournables et pourraient être suivies et promues par des fondations subventionnaires.

Premièrement, elles ont la capacité d’accompagner un vaste chantier de travail afin de reconfigurer notre rapport à la nature. En nous inspirant des épistémès des peuples autochtones, nous avons la capacité de définir un nouveau « grand récit » et de reconfigurer notre rapport à la nature. Il s’agirait de considérer ce rapport non pas sous l’angle d’un droit à l’exploiter – dans une logique où la nature est essentiellement une ressource au service de l’être humain –, mais en fonction d’une posture de responsabilisation de nos actions à son égard.

En agissant ainsi, nous nous considèrerions comme une partie de la nature et aurions la coresponsabilité, avec les autres espèces vivantes, d’assurer le maintien de sa bonne santé.

Les citoyens des Premières Nations entretiennent une relation particulière avec la terre et tous les êtres vivants qu’elle abrite. Cette relation est fondée sur un lien profond avec notre mère la Terre qui a amené les citoyens autochtones à pratiquer la vénération, l’humilité et la réciprocité. Elle est aussi basée sur des besoins et des valeurs liées à la subsistance qui remontent à des milliers d’années. Les moyens de subsistance, tels que la chasse, la récolte et la pêche, servent à nourrir soi-même, la famille, les personnes âgées, les personnes veuves et la communauté et à organiser des cérémonies. Nous extrayons et utilisons chaque élément en gardant à l’esprit le fait que nous prenons uniquement ce dont nous avons besoin. Nous devons faire preuve de précaution et de clairvoyance dans la façon et la quantité que nous prélevons afin de ne pas faire courir un grand péril aux futures générations. (Assemblée des Premières Nations)

Deuxièmement, en travaillant à une reconfiguration de notre rapport à la nature, nous aurons l’obligation de traduire cette grande orientation culturelle en des actions concrètes, pragmatiques, lesquelles nous permettrons de définir, de façon solidaire, inclusive, équitable, altière, démocratique et écologique, nos façons de vivre en société.

COP 15Différentes pistes vont dans cette direction. À titre indicatif mentionnons les avancées visant à redonner une place à la nature dans les villes. Considérant que la population humaine est maintenant principalement urbaine (à presque 60%), la façon de penser la ville peut difficilement se faire sans redonner une place à la nature. L’exemple des villes biophiles, stationnaires, douces ou lentes, représente une avancée dans cette direction. Penser l’espace humain comme un espace naturel implique de connecter ou de relier les espaces naturels (forêts, prairies, berges, zones désertiques et cours d’eau, océans et zones aériennes de transhumance…), les espaces habités (la campagne) et les zones faiblement ou densément peuplées (les villes et les mégalopoles).

… les connexions de paysages essentielles à l’intérieur, à travers et autour des régions urbaines facilitent les déplacements, la reproduction, l’alimentation et l’accès à l’habitat des espèces sauvages. Ces connexions peuvent être catégorisées efficacement comme des investissements infrastructurels. Les paysages connectés reposent sur des infrastructures vertes sous la forme de passages pour la faune, de couloirs, de passages surélevés et souterrains ; ils sont donc sans aucun doute aussi importants que l’infrastructure d’ingénierie civile qui définit nos villes. (Dale9 et al., 2019)

Non seulement nous faut-il revoir nos modalités urbanistiques d’aménagement, en pensant les villes comme des paysages, mais nous devons avant tout protéger les espaces naturels. Sur ce point, les objectifs de la Convention sur la biodiversité visent la création d’aires protégées à hauteur de 30% des territoires terrestres et maritimes10.

Concrètement, cela implique de réserver au moins 30% du territoire terrestre et marin canadien pour créer des aires protégées. Il s’agit non seulement d’atteindre une cible quantifiée mais aussi d’agir en qualité. Nous devons nous assurer que le 30% d’aires protégées soit équitablement réparti sur l’ensemble du territoire canadien et québécois11.

Aller dans cette direction, i.e., générer un aménagement écologique des villes et établir de grandes et très grandes aires protégées à l’extérieur des zones urbanisées, demande que les espaces protégés et l’urbanité écologisée puissent être interconnectées. Cela requiert de penser notre façon d’habiter la Terre en respectant une valeur écologique.

Les deux voies que nous avons identifiées auront une grande incidence sur nos économies. Elles seront affectées tant dans les façons de produire, de consommer et de disposer des matières utilisées. Nos habitudes de production, de consommation et de disposition des « déchets » doivent être questionnées et les nouveaux comportements devront passer le test de la « valeur écologique ».

Dans ce vaste chantier, la philanthropie subventionnaire a une place, un rôle et une fonction à jouer. Cela lui demande donc de prendre, à la hauteur de ses moyens, les actions pour rendre effective la Convention sur la biodiversité.

  • La philanthropie à portée environnementale peut soutenir les conversations et les débats entourant la transition sociale et écologique.
  • Elle peut soutenir le maillage requis entre différents acteurs sociaux afin de les épauler dans les efforts à déployer afin de redéfinir notre rapport à la nature.
  • Elle peut supporter des expérimentations et appuyer le travail d’analyse requis pour identifier des pratiques et des comportements exemplaires en vue de préserver la biodiversité.
  • Elle peut œuvrer de concert avec le secteur économique pour faciliter et accélérer les montées à l’échelle de modalités alternatives et viables de production, de consommation et de disposition des déchets.
  • Elle peut appuyer la réorganisation de notre rapport à la consommation et nous aider à tempérer nos besoins et nos désirs pour adopter une consommation responsable et écologiquement viable.
  • Enfin, elle a la possibilité de mobiliser son capital d’influence pour amener nos gouvernements à définir des politiques publiques en accord avec les visées promues par le grand projet que représente la transition sociale et écologique.

La conscience écologique vient d’une menace, non d’une espérance ; elle nous amène à repenser non seulement notre relation à la nature, mais notre histoire et notre civilisation. (Edgar Morin, fil Twitter12)


Cet article fait partie de l’édition spéciale de décembre 2022. Vous pouvez trouver plus d’informations ici

COP15 et la philanthropie

Notes de bas de page

[1] Merci à David Grant-Poitras pour ses commentaires et suggestions.

[2] Dale, A. et al. (2019). Conservation de la biodiversité. Appel à l’action pour les décideurs canadiens, Women for nature, Changing the conversation, Royal Roads University, Nature Canada. Document disponible en langues française et anglaise : https://www.oursafetynet.org/solutions/biodiversity-action-agenda/?gclid=CjwKCAiApvebBhAvEiwAe7mHSMMMOr5dXRBN_ihUt7TZtqI0_E1f24lCAQV9IBX_W8GSe-11w-OkbxoCyKMQAvD_BwE.

[3] En 1992, 150 États ont ratifié le traité.

[4] Selon Oil Change International, le Canada a consacré 8,5 milliards de dollars US à des projets d’extraction d’énergie fossile entre 2019 et 2021 contre moins de 1 milliard pour des énergies propres (https://priceofoil.org/content/uploads/2022/11/G20-At-A-Crossroads.pdf). Une somme bien inférieure aux 4,1 milliards de dollars dégagés par le gouvernement canadien pour protection la nature pour la période allant de 2021 à 2025 (https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/nouvelles/2021/11/le-gouvernement-du-canada-accroit-son-ambition-pour-la-protection-de-la-nature-afin-de-faire-face-a-la-double-crise-de-lappauvrissement-de-la-biodi.html).

[5] Voir l’article de blog de David Grant-Poitras : https://philab.wpdev0.koumbit.net/blogue-accueil/face-a-lurgence-climatique-les-fondations-canadiennes-sont-appelees-a-rejoindre-le-mouvement-philanthropiepourleclimat/.

[6] https://www.ivey.org/.

[7] https://www.newswire.ca/news-releases/ivey-foundation-to-wind-up-granting-100-million-endowment-over-next-five-years-864418609.html.

[8] https://sitkafoundation.org/. Voir aussi l’article d’Audrey Maria Popa sur la Fondation Sitka : https://philab.wpdev0.koumbit.net/en/home-blog/interview-carolynn-beaty-of-the-sitka-foundation/.

[9] https://www.changingtheconversation.ca/sites/all/images/BioActionAgenda/BiodiversityActionAgendaENWeb.pdf.

[10] En 2013, le gouvernement du Québec s’est doté d’un ensemble de recommandations pour préserver la biodiversité sur son territoire : https://www.environnement.gouv.qc.ca/biodiversite/orientations/Orientations.pdf. Le Canada d’est doté d’une stratégie allant en ce sens en 1995. Selon Greenpeace, le « Canada n’a atteint aucun de ses objectifs en matière de biodiversité » (https://www.greenpeace.org/canada/fr/blog-des-volontaires/53527/proteger-la-nature-et-la-biodiversite-avec-des-meilleures-lois%EF%BF%BC/).

[11] En 2021, au Canada, 13,5% du territoire terrestre est protégé et 13,9% du territoire marin, dont 9,1% est partie prenante d’un territoire terrestre protégé (https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/indicateurs-environnementaux/aires-conservees.html). Au Québec, en 2022, c’est 16,7% du territoire qui est protégé (https://www.environnement.gouv.qc.ca/biodiversite/aires_protegees/registre/).

Le Québec atteindrait la cible intermédiaire du 17% en protégeant l’île d’Anticosti, projet présentement en cours de décision.

[12] https://www.abc-citations.com/themes/ecologie/.