Cet éditorial fait partie du Dossier Spécial COVID-19: Révélatrice d’inégalités sociales
Avant la COVID-19, jamais l’humanité n’avait connu des profits et une concentration de la richesse d’une telle ampleur. En effet, selon Forbes, le nombre de millionnaires dans le monde explose. Si une telle accumulation de richesses a ouvert un âge d’or de la philanthropie, la tendance s’est aussi accompagnée d’un creusement de l’écart entre riches et pauvres et d’une incapacité à faire échec aux inégalités. Puis est arrivée la COVID. Sans surprise, les problèmes sociaux du passé persistent, et la crise en cours a accentué les défaillances de notre système économique et les répercussions de décennies d’efforts concertés pour couper dans l’aide sociale. Ainsi, la crise sanitaire actuelle n’a fait qu’amplifier les impacts de la pauvreté et des inégalités.
Aux États-Unis, le rapport entre race/ethnicité et risque d’infection et d’hospitalisation lié à la COVID-19 est vite devenu évident, et s’est révélé étroitement corrélé au statut socioéconomique. La question des effets sur les différentes communautés s’est ensuite rapidement posée au Canada. Toutefois, les données étant insuffisantes, ce n’est que plus tard que des recherches plus approfondies ont été menées [1]. Autre facteur de risque notable pour une population particulière, la mauvaise gestion des établissements de soins de longue durée : fourniture inadéquate de soins de santé aux personnes âgées, établissements surpeuplés et mauvais traitement du personnel, sans parler des bas salaires propres au secteur, le tout conduisant à un cercle vicieux de pénurie de main d’œuvre et à la création d’un contexte idéal pour la propagation du virus de la COVID-19. Ces résultats sont le fruit d’années de politiques d’austérité et de baisses d’impôts qui ont permis le détournement de recettes publiques potentielles et entraîné un affaiblissement des filets de sécurité sociale dont nous avons désespérément besoin aujourd’hui pour lutter contre les effets de la pandémie.
Certains problèmes existants, comme le manque de logements décents, le non-accès à l’eau potable et le surpeuplement des habitations dans certaines communautés autochtones, ou encore l’inadéquation des espaces de travail et des dortoirs des travailleurs migrants, font partie des défis permanents à relever pour contenir la propagation du virus, alors que des éclosions sporadiques continuent de se produire. La hausse du nombre de personnes itinérantes au Canada s’ajoute également aux sources de préoccupation des autorités, lesquelles doivent fournir à cette population un abri contre les éléments qui permette de respecter la distanciation physique. En outre, il y a le sentiment d’isolement causé par le confinement, l’augmentation des problèmes de santé mentale et la toxicomanie. Partout au Canada, la COVID-19 a mis au jour les nombreuses lacunes en matière d’accessibilité et de disponibilité de services et de soins de santé adéquats pour ceux et celles qui en ont le plus besoin. À cette longue liste s’ajoute l’aggravation des inégalités économiques que subissent les femmes, disproportionnellement touchées par la réduction des possibilités d’emploi et qui doivent, de surcroît, faire face à une hausse de la violence conjugale causée par la politique de confinement. Enfin, les équipements de protection individuelle, conçus par défaut pour les hommes, illustrent une autre forme d‘inégalité limitant la capacité des femmes à se protéger efficacement contre le virus.
En résumé, ce numéro spécial porte tout particulièrement sur les pratiques discriminatoires du passé qui font maintenant partie intégrante du problème posé par la faible résilience actuelle de notre système face à la COVID. La pandémie a peut-être révélé les limites de la philanthropie, mais aussi la façon dont le secteur peut s’adapter et s’atteler à l’énorme tâche qui l’attend. Au fur et à mesure que la crise évolue, les innovations se multiplient dans le secteur : la campagne GIVE5, The Other 95, le Sector Stabilizing Fund, le Fonds de résilience des peuples autochtones (FRPA), le projet Signes Vitaux ou IncreaseTheGrants. Les acteurs philanthropiques reconnaissent tous le profond besoin d’établir de nouveaux modes de collaboration entre les fondations subventionnaires, les organisations philanthropiques et les agences gouvernementales. L’égalité et l’inclusion figurent au premier plan de ces améliorations, tout cela dans l’espoir de défaire cet adversaire historique. Il reste à voir si ces nouvelles initiatives seront durables ou s’il ne s’agit que d’engagements à court terme, et si une approche de la philanthropie fondée sur la justice sociale prévaudra dans une ère post pandémique.
[1]English: COVID-19 in Canada: A One-year Update on Social and Economic Impacts, March 2021, https://www150.statcan.gc.ca/n1/en/pub/11-631-x/11-631-x2021001-eng.pdf?st=gh_-LF4_