Entrevue avec Thierry Durand
Première partie : Regard sur un centre d’action bénévole atypique
Par Charles Duprez, candidat à la maitrise en responsabilité sociale et environnementale à l’UQAM
Convergence action bénévole offre des services à la population et aux organisations du territoire de Chaudière-Appalaches. Plus spécifiquement, il œuvre au niveau des services de soutien à domicile, de la prévention de la détresse psychologique, du soutien aux personnes atteintes de cancer et à leurs proches et offre de l’accompagnement technique et de la formation aux organisations du milieu. Convergence action bénévole est un spécialiste des projets collectifs et du travail sur les enjeux de fonds. Il vise constamment à améliorer les fondements des services pour que la population puisse bénéficier des meilleurs services possible.
Référence : https://www.benevoleenaction.com/a-propos/notre-cab
Trouvez le profil philanthropique complet de Thierry Durand ici.
Charles Duprez (CD) : En quelques mots, pourriez-vous nous présenter Convergence action bénévole ?
Thierry Durand (TD) : Nous sommes un organisme sans but lucratif qui vise à soutenir à la fois la population et les organismes communautaires principalement dans le territoire de Bellechasse-Lévis-Lotbinière.
Pour ce qui est des services à la population : nous avons un volet soutien à domicile (accompagnement-transport, visites d’amitié, popote, etc.); une ligne pour prévenir la détresse psychologique; des services pour soutenir les gens atteints du cancer; et nous assurons la gestion de la ligne info–référence communautaire 211.
Dans les services de soutien aux organisations, une partie de nos équipes s’occupe de la formation et de l’aide technique et une autre qui s’occupe de tout ce qui concerne le développement de l’engagement social. À titre d’exemple, si un organisme souhaite se doter de règlements généraux ou d’une politique interne nous pouvons l’accompagner dans cette démarche. Nous pouvons aussi l’accompagner dans toutes les initiatives pour faciliter le recrutement, l’arrimage et la fidélisation des bénévoles.
En résumé, Convergence action bénévole fonctionne un peu comme un holding communautaire : chaque service de l’organisme pourrait être un organisme communautaire à part entière, mais tout est regroupé au sein d’une même structure.
CD : Comment l’organisme est-il financé ?
TD : Notre budget consolidé (avec le 211) s’approche de $1,3 million. Ce budget est principalement utilisé pour la prestation de services. Convergence action bénévole compte près de 350 bénévoles (ce qui représente près de 50.000 heures de bénévolat par an) et entre 20 à 30 personnes employées, avec une variable d’ajustement en fonction des projets.
Nous sommes assez chanceux puisque nous ne dépendons pas de campagnes de levés de fonds. Près de 60% de notre financement provient du ministère de la Santé et des Services sociaux via le Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) et près de 20% qui provient des villes. Enfin 10-15% de notre financement est en provenance de Centraide de notre région et le reste est issu de nos propres revenus générés par certaines de nos activités comme le transport ou la popote roulante.
CD : Vous évoquez le service de 211, quelle est son utilité sociale ?
TD : Le 211 est un organisme indépendant, mais sous gestion de Convergence action bénévole. C’est une ligne d’info–référence communautaire confidentielle et accessible gratuitement, qui sert à faciliter le maillage entre les personnes qui seraient dans le besoin et les ressources sociocommunautaires adéquates.
Les données issues du 211 servent à alimenter des politiques publiques et à faire des portraits sociaux. Cela permet aux décideurs d’avoir des données du terrain sur lesquelles baser leurs prises de décisions. À Montréal et sous l’égide de Centraide du Grand Montréal, ces données sont rassemblées sous le projet radar.
CD : Accompagnez-vous d’autres centres d’action bénévole dans l’implantation de ce service?
TD : Nous pilotons le 211 avec les Centraide : Centraide Canada et les Centraide au Québec. Nous avons un Comité provincial de gestion et à partir de ce comité nous formulons la stratégie. Il n’y a pas l’idée de faire d’autres 211 au Québec actuellement, mais peut-être que le modèle va évoluer par région. Indiquons qu’il faut une masse critique pour être capable de mettre en place le service 211.
CD : Mis à part le 211, votre CAB offre le service Convergence Espoir Cancer, lequel se démarque de l’offre plus traditionnelle des autres CAB du Québec. En quoi consiste ce service?
TD : C’est vraiment sur ce point que nous sommes le plus atypique : un centre bénévole classique se forme autour d’un volet de soutien à domicile avec en plus quelques petits volets partiels pour soutenir l’action bénévole sur le territoire. De notre côté, nous nous sommes formés à l’origine sur un volet de soutien à domicile en 1972, mais en 2006 après une demande du système de santé, nous avons repris un volet sur les services associés au cancer. Nous avons dès lors développé tout le volet de soutien aux personnes atteintes de cancer et à leur proche.
CD : Mis à part ce service, qu’est-ce qui démarque Convergence action bénévole des autres Centres d’Action Bénévole ?
TD : Parce que nous avons la chance d’avoir des financements historiquement stables, nous sommes capables d’embaucher deux personnes pour soutenir les organisations dont une personne à temps plein. Elle travaille sur le développement de l’engagement social. Très peu de CAB au Québec (sur environ 120) ont une personne temps plein dédiée à l’action bénévole et au soutien technique. Nous avons également une personne entièrement dédiée au soutien aux organismes et une personne dédiée au volet de soutien à domicile.
Nous avons mis sur pied au fil du temps une ligne téléphonique pour prévenir la détresse psychologique. Nous nous occupons de répondre entre 15 000 et 20 000 appels par année. En général, c’est un organisme indépendant qui offre ce service. Nous avons décidé d’intégrer complètement ce service, un fait rare pour un CAB.
C’est en considération de cette posture atypique que nous avons décidé de changer notre nom, initialement « Centre Action Bénévole Bellechasse-Lévis-Lotbinière », nous sommes devenus Convergence action bénévole. Nous voulions ainsi éviter une confusion avec les CAB plus « classiques ».
CD : Qu’en est-il de votre volet bénévolat ?
TD : Notre volet bénévolat porte l’étiquette « engagement social ». Nous trouvons que le débat autour des termes « engagement social », « entraide », « bénévolat » est un faux débat, car ce qui compte, c’est de se concentrer sur l’impact du geste et non sur la façon dont ce geste est dénommé, bien que la distinction puisse impliquer des approches différentes. Si ces trois termes diffèrent, ils ont la même finalité. Nous essayons de les encourager, peu importe le flou qui existe entre eux.
CD : Pendant la Covid-19, avez-vous ou êtes-vous en train de mettre en place des services particuliers? Quel est l’impact de la crise sanitaire sur vos activités ?
TD : Le coronavirus a surtout eu pour impact de transformer les services qui existaient déjà en services virtuels, nous n’en avons pas créé de nouveau. Il s’agit vraiment d’une adaptation pour accroître notre capacité de réponse sur nos territoires d’intervention.
Tout ce qui est lié à la question du télétravail était déjà présent dans notre CAB. Nous avions déjà la chance d’avoir mis en place de très bonnes pratiques de ressources humaines, ce qui nous a permis rapidement d’être parfaitement adaptés. Nous étions aussi déjà délocalisés, notamment au niveau des personnes travaillant sur le 211. L’adaptation technologique a donc été minime. Par contre, il a fallu ajuster la façon dont nous faisions des réunions en équipe et dont on entretenait le social dans l’équipe. Finalement, le fait le plus marquant est le nombre de rencontres qui s’est vraiment intensifié, comme si le temps de battement entre les rencontres n’existait plus !
Au niveau bénévole, nous avons perdu énormément de contact relationnel avec les personnes bénévoles et il s’agit là d’un enjeu majeur.
CD : Comment voyez-vous la suite des effets de la Covid-19 sur le bénévolat ?
TD : Je pense que nous allons revenir à la normale avec les bénévoles et nous aurons peut-être un peu plus de télétravail du côté des employé·e·s. Au niveau organisationnel, je pense que beaucoup de rencontres vont rester par zoom, car cela est plus efficace même si nous perdons au niveau des relations humaines. Je ne sais pas si tous les bénévoles vont vouloir revenir, mais chose certaine, de notre côté nous sommes prêts à les accueillir quand la situation va le permettre.
CD : Durant la crise socio–sanitaire causée par la pandémie de COVID-19, plusieurs activités issues de l’action bénévole ont été qualifiées de « services essentiels » par le gouvernement. Dans le cas de votre CAB, lesquels de vos services ont pu continuer à opérer? Comment s’est déroulée la mise en œuvre de vos services dans un tel contexte?
TD : Nous l’avons appris en même temps que tout le monde ! Il y avait alors pour nous deux grands enjeux : celui du service essentiel direct en personne et celui du service essentiel à maintenir malgré la distance. Tous nos services directs à la population se sont qualifiés pour être des « services essentiels », mais nous avons dû faire qualifier en urgence chacune de nos activités par la Ville de Lévis pour pouvoir continuer à utiliser leur édifice.
Ce qui était paradoxal avec les règles sanitaires, c’est que le gouvernement a décrété que nos services étaient essentiels, mais en même temps, il a demandé aux personnes de plus de 70 ans de ne plus sortir de chez elles. Cela a donc eu pour résultat de vider 100% de nos effectifs en accompagnement–transport. Cela soulève la question de la place des bénévoles dans la société. Est-ce normal que les bénévoles occupent des fonctions de service essentiel? Je n’ai pas la réponse, mais si l’on dit oui, alors cela doit automatiquement venir avec des moyens pour assurer cette fonction.
Un dernier point également, la COVID-19 a eu pour effet de générer un énorme taux de roulement parmi nos bénévoles. Nous avons recruté un grand nombre de personnes qui étaient mobilisées par les enjeux de la crise sanitaire, mais ce ne sont pas, pour la plupart, des bénévoles qui sont restés dans l’organisme. Nous avons par exemple dû recruter près de 70 bénévoles pour la ligne d’écoute, mais il doit en rester seulement 5 aujourd’hui. De plus, il a fallu encadrer et former rapidement toutes ces personnes. Or, nous n’avions pas de département de ressources humaines. Si l’on veut en tant que société s’appuyer sur le bénévolat, il faut donner aux organisations les moyens de gérer ce bénévolat. Nous nous rendons compte aussi que des postes normalement occupés par des bénévoles ont finalement disparu avec la COVID-19, car les organisations ont trouvé cela plus simple de gérer le tout par des personnes salariées, plutôt que de recruter et de former de nouveaux bénévoles. Ceci a eu pour conséquence de faire disparaître, dans certains cas, le rôle de bénévole qui, à mon avis, ne reviendra pas. Nous venons donc de diminuer la place du bénévolat au Québec sans véritablement en avoir fait un choix conscient. Cela soulève de grandes questions.
CD : Votre centre se décrit comme « un spécialiste des projets collectifs et du travail sur les enjeux de fonds ». Qu’entendez-vous par là? Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à adopter cette approche?
TD : Notre changement de nom reflète cette posture. Nous avons souhaité appuyer l’idée que nous faisons converger les initiatives. Par exemple, au niveau du transport, il faut faire des choix et avoir des réflexions de fond pour organiser le réseau de bénévolat entre les différents acteurs. Chacun doit trouver sa place pour qu’il y ait une cohérence et une harmonie dans la proposition globale de service. Nous essayons aussi de penser en réseau avec les autres centres, notamment en cherchant un modèle global qui nous permet de bien comprendre le bénévolat dans toutes ses facettes pour arrimer les interventions sur ce modèle. C’est cela que nous sommes en train de développer.
CD : De quelle nature sont vos relations avec le milieu de la recherche? En quoi ce dernier contribue-t-il à la transformation de vos pratiques?
TD : Nous avons une grande culture de coopération avec le milieu de la recherche. Nous avons beaucoup de relation avec le VITAM (Centre de recherche en santé durable) à Québec, l’IVPSA (Institut sur le vieillissement et la participation sociale des aînés) et avec le CEVQ (Centre d’excellence sur le vieillissement de Québec). Nous avons des recherches en cours avec le Centre de recherche sur le vieillissement à Sherbrooke. Nous travaillons également avec le CCEG-CCTT (Centre collégial de transfert technologique en gérontologie du Cégep) à Drummondville.
Nous avons donc beaucoup d’affinité et de liens avec le milieu de la recherche. Cela nous permet d’aller creuser des questions plus spécifiquement. Nous avons aussi parfois besoin de données de recherche pour démarrer des projets, car l’intuition ne suffit pas. C’est donc autant pour approfondir des questions, raffiner des outils que pour faire avancer la recherche que nous collaborons si étroitement. Nos relations avec ce milieu nous permettent aussi de mieux le comprendre, car il faut savoir que pour le milieu communautaire, le monde de la recherche est vraiment hermétique. Nos financements étant stables, nous pouvons aussi nous permettre de passer du temps dans la recherche sans avoir d’obligation d’un retour financier.
CD : Nous pourrions conclure cet entretien sur la recherche, justement, verriez–vous des pistes de recherche qu’il serait intéressant de creuser à l’avenir?
TD : Assurément au niveau de volets précédemment évoqués.
Comme nous l’avons indiqué, il y a place au Québec à une réflexion sur la place du bénévolat dans la société en lien ou non avec des services essentiels.
De plus, dans le monde de la philanthropie, nous parlons beaucoup d’impact social. Il faudrait être capable de développer un modèle générique pour calculer quantitativement l’impact social d’un organisme communautaire. Cela est toutefois à penser avec précaution, car un tel modèle est à double tranchant puisqu’il peut alimenter une logique de compétition entre les organismes. Reste que le calcul de l’impact social est selon moi un enjeu majeur.