Synthèse du rapport EPIC-Africa Juin 2020 – Impact de la covid-19 sur les organisations de la société civile (OSC) africaines
Introduction
Les organisations de la société civile africaines (OSC) n’ont pas été épargnées par la crise de la Covid-19 puisqu’une grande partie de leurs financements proviennent des pays étrangers eux-mêmes impactés par la crise. La présidente du Comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (CAD-OCDE) Susanna Moore annonçait une possible réduction de l’aide au développement, car « les gouvernements [de l’OCDE] ne sont pas en position de nous dire ce qu’ils vont pouvoir mobiliser comme fonds cette année au regard de leur propre situation nationale » (Hiault,2020). L’aide mondiale transitant par les OSC n’a cessé de croitre depuis 2010 avec une concentration observée en faveur des OSC africaines (Miliasili Initiatives et Well Grounded, 2015). Par ailleurs, une étude récente estime que les fonds provenant de la philanthropie représentent près de 17% du budget des OSC en Afrique (EPIC-Africa, 2019, p.9). Toutefois, l’activité philanthropique étant tributaire de la bonne santé de l’économie globale et de celle des pays des donateurs en particulier, l’accès au financement des OSC africaines peut être impacté par la crise de la Covid-19 dont les sanitaires, sociales et économiques sont dévastatrices (Seghers, 2020). « Ces structures anticipent des pertes de financement lourdes voire irrécupérables » (Sesmaisons, 2020).
Le Rapport d’EPIC-Africa (2020) sur l’impact de la Covid-19 sur les OSC africaine publié en juin 2020 présente les enjeux auxquelles sont confrontées les OSC et identifie les fenêtres d’opportunités qui s’offrent à ces organisations malgré la crise. En vue de nourrir la réflexion des acteurs de développement sur le continent (bailleurs de fonds, gouvernements, OSC), le rapport poursuit les objectifs suivants : 1) Évaluer l’impact négatif de la pandémie sur le financement et les questions opérationnelles des OSC; 2) Comprendre comment les OSC gèrent et répondent à ces enjeux, 3) Mettre en avant l’implication des OSC dans les réponses nationales face à la pandémie et 4) Identifier les opportunités qui émergent de la crise et les enseignements tirés. Les données proviennent d’une enquête réalisée auprès d’un échantillon de mille quinze (1015) OSC provenant de 44 pays africains. Les OSC retenues interviennent surtout dans le développement communautaire, la santé, l’éducation, les questions du genre et des jeunes dans le développement. La moitié des OSC participant à l’étude ont un budget annuel inférieur à cent mille dollars et un effectif moyen de dix personnes.
Les paragraphes qui suivent synthétisent les faits saillants du rapport relatifs à l’impact de la Covid-19, à la participation des OSC à la lutte contre la pandémie, et enfin, l’émergence de nouvelles opportunités.
Impact de la Covid-19 sur les OSC
La crise sanitaire a eu des répercussions directes sur les OSC africaines en termes de perte de financement, sur les opérations et les ressources humaines notamment. En effet, l’étude a révélé que 98% des OSC ont été négativement impactées par la Covid-19 particulièrement sur le volet financement. L’impact financier sur les OSC est considérable, car plus de 55% d’entre elles affirment avoir enregistré des pertes et 34% ont indiqué avoir enregistré un accroissement des coûts d’opération. Par ailleurs, 85% d’entre elles ont dû renoncer à des activités qui auraient pu contribuer substantiellement aux efforts de lutte contre la Covid-19.
« Nos interventions sur le terrain se sont brutalement arrêtées à cause de COVID-19, cela a laissé les communautés sans aucun soutien pour les services dont elles dépendent. Nous prévoyons également une perte de revenus provenant des dons et du financement des programmes, et nous devons donc introduire des mesures de réduction des coûts dans les prochaines semaines. Nous n’étions pas préparés à faire face à ces changements soudains dans notre environnement opérationnel » (Epic-Africa, p.5)
Cette situation est d’autant plus préoccupante que les bailleurs de fonds ne prévoient pas une sortie de crise sereine pour ces OSC dont la pérennité est en jeu (EPIC-Africa 2020, p.4; UNCTAD, 2020; McKibbin et Fernando, 2020). L’impact de la Covid-19 sur l’économie mondiale est tel que les marchés financiers sont frileux à octroyer des prêts accentuant la prudence des bailleurs de fonds (UNCTAD, 2020). Malgré cela, certaines OSC ont fait preuve de résilience en adaptant leurs opérations aux mesures restrictives telles que le confinement, les couvre-feux et la distanciation sociale. Ainsi, près de 79% des OSC interrogées dans le cadre de cette enquête déclarent avoir été réduit les interactions directes avec leurs communautés desservies et environ 69% ont dû réduire ou interrompre leurs opérations alors que les charges fixes (frais de location, salaires, frais d’électricité, etc) ne cessent de s’accumuler. En plus de l’austérité qu’impose la Covid-19 et ses conséquences, le fait de ne pas opérer a plus que plongé certaines OSC dans l’incertitude totale.
Figure 2 : Impact à court terme de la Covid-19 sur les OSC africaines
Outre l’impact sur le financement, les opérations et les activités, la crise a également bouleversé les méthodes de travail conduisant 84% des OSC à recourir au télétravail. N’étant pas suffisamment préparées à ces changements, ces nouvelles méthodes ont impacté négativement la trésorerie et les opérations. Certaines OSC ont dû acquérir en toute urgence du matériel informatique souvent onéreux pour s’adapter au télétravail, d’autant plus que tout le personnel d’environ 70% d’entre elles ne possède pas d’ordinateur ni de connexion internet ou encore que le domicile ne soit pas un environnement de travail pour les employés de près de 52% des OSC. Pour toutes ces raisons, les OSC ont entrepris de réduire leurs coûts prévisionnels d’opération pour tenir compte de l’incertitude des financements futurs. L’étude révèle par exemple qu’environ 1 OSC participante sur 2 (49,87%) a procédé à la réduction de leurs activités, à la mise en congé du personnel, au gel des embauches, à la réduction des salaires et du temps de travail tout en étant dans l’obligation de renégocier les contrats.
Afin de faire face aux impacts de la Covid-19, plusieurs OSC ont intensifié la communication avec leurs partenaires afin de rendre compte de la réalité du terrain et espérer avoir un soutien substantiel. Malgré tout, certaines OSC comptent tirer profit de la crise en capitalisant sur les solutions qu’elles ont mises en œuvre pour absorber les chocs de la crise.
Participation des ONG à la lutte contre la Covid-19 et émergence de nouvelles activités
Malgré les mesures de restriction imposées par les gouvernements, les OSC africaines ont réussi à participer à la lutte contre la pandémie en adaptant leurs activités. Ainsi, 26% d’entre elles ont participé à des interventions d’urgence (par exemple, distribution de nourriture et de produits d’hygiène), 25% ont fait un travail de sensibilisation autour du respect des droits humains pendant la crise et 19% ont réalisé des activités de coordination avec des institutions faitières ou gouvernementales afin de préserver leur place dans les stratégies de lutte contre la pandémie. Près de 72% des OSC indiquent avoir eu recours à l’autofinancement pour réaliser ces activités, même si plusieurs d’entre elles regrettent la non-reconnaissance de leurs compétences, expérience et réseaux dans les efforts de lutte. Cette preuve d’agilité faite par les OSC mérite d’être capitalisée notamment dans la perspective de mise à jour des plans stratégiques et d’optimisation des ressources.
« Nous disposons d’une couverture nationale qui nous permet de réagir rapidement à la pandémie par des services essentiels aux communautés les plus vulnérables. Nous avons l’opportunité de mettre en place des partenariats durables avec le gouvernement, les entreprises privées et d’autres organisations de développement » (Epic-Africa, p.19)
Cette adaptabilité des OSC africaines offre « des perspectives porteuses d’optimisme » (Sesmaisons, 2020). Près de 45,06% d’entre elles soulignent que la pandémie allait développer la solidité et l’agilité du secteur à travers la mise en œuvre des actions suivantes dans le futur :
- La nécessaire réorientation des opérations : L’agilité innovante dont ont fait preuve les OSC notamment dans la restructuration de leurs activités et la réduction de leurs charges permet de constater qu’il existe des pistes d’optimisation de leurs ressources et dégager des économies. Par exemple, la transformation numérique semble irréversible et le télétravail qu’elle engendre permet de réduire des charges fixes notamment locatives et administratives.
- L’optimisation des sources de financement domestiques : La Covid-19 étant une crise mondiale impactant également les bailleurs de fonds internationaux, il est indispensable d’élargir la base du financement national en diversifiant les sources. D’autant plus que c’est l’autofinancement qui a permis à certaines OSC d’opérer pendant la Covid-19.
- L’évolution des rapports de pouvoir : La pandémie a contribué à redéfinir les rapports de pouvoir entre les OSC et les bailleurs de fonds. Elles ont démontré une réactivité dans la réponse à la crise et ont affirmé leur leadership dans la prise en charge des problèmes sociaux; ce qui pourrait concourir à assouplir les conditions de financement. Elles ont fait leurs preuves sur le terrain et elles vont capitaliser les apprentissages et l’expérience de la gouvernance en période d’austérité. Face à la rareté du financement extérieur, la philanthropie locale pourrait servir de tremplin pour le financement des OSC. C’est pourquoi le plaidoyer doit viser la mise en place de politiques fiscales favorables à l’émergence d’une véritable philanthropie locale (Entrevue Sesmaisons, par Rey, 2020).
- Le renforcement de la mobilisation, visibilité et crédibilité renforcée : Les OSC ont réaffirmé leur expertise dans la mobilisation populaire. Pendant les périodes les plus critiques de la pandémie, alors que les pays africains mobilisaient des sommes énormes pour contrer la maladie, les OSC se sont mobilisées pour dénoncer les risques de malversations dans la gestion de ces deniers publics. Une veille contre la mauvaise gouvernance s’est instaurée à l’échelle du continent rendant l’action des OSC plus visible et crédible sur le continent.
Conclusion
La crise de la Covid-19 a mis en évidence un paradoxe de la vulnérabilité des OSC en Afrique. D’un côté, les OSC ont été impactées négativement, mais de l’autre, elles ont fait preuve d’adaptation, d’innovation et de résilience en se réorganisant et en réorientant leurs activités vers la lutte contre la Covid-19. Cette dynamique souligne leur capacité à être agiles face aux enjeux de financement, de gestion des ressources humaines et des conditions de travail, ce qui leur permet de faire face à crise, de réaliser leur mission tout en optimisant leurs structures de coûts. Néanmoins, en accord avec les propos de Sesmaisons (2020), la pandémie représente une fenêtre d’opportunité pour les OSC « notamment dans le cadre de l’évolution indispensable de la localisation de l’aide. Mais pour qu’elle devienne effective, les bailleurs doivent absolument (…) repenser leur schéma de financement, en permettant aux acteurs du Sud de bénéficier de renforcements de capacités d’une part et de financements dédiés à leurs coûts de structure d’autre part » (Sesmaisons, 2020). La philanthropie d’origine africaine, en pleine expansion (Ndiaye, 2020), aurait un rôle important à jouer dans le positionnement de l’aide aux OSC sur le continent.
Références
EPIC Africa, (2020), Impact de la Covid-19 sur les OSC africaines, Rapport Epic-africa, juin 2020, https://societecivilemedia.com/wpcontent/uploads/2020/07/L%E2%80%99impactduCOVID-19surlesorganisationsdelasoci%C3%A9t%C3%A9civileafricaines.pdf
Hiault, R., (2020), L’aide au développement entre dans une zone de turbulence, consultée le 27-06-2020, https://www.lesechos.fr/monde/enjeuxinternationaux/laide-au-developpement-entre-dans-une-zone-de-turbulence-1195614
Maliasili Initiatives et Well Grounded (2015), Renforcement des Organisations de la Société Civile Africaines en vue de l’Amélioration de la Gouvernance et de la Conservation des Ressources Naturelles. Maliasili Initiatives et Well Grounded : Underhill, VT et Londres, Royaume-Uni.
McKibbin, W., & Fernando, R. (2020). The global macroeconomic impacts of COVID-19: Seven scenarios. Asian Economic Papers, 1-55.
Ndiaye, S. (2020). Action publique, comportements et philanthropie en contexte de COVID-19 : quelques réflexions à partir du Sénégal. Blogue du Philab. 20 avril 2020
Rey (2020), Entrevue avec Irène Sesmaisons: La philanthropie en Afrique racontée par des acteurs d’expérience, Philab, Montréal; https://philab.wpdev0.koumbit.net/en/home-blog/entrevue-avec-irene-sesmaisons-la-philanthropie-en-afrique-racontee-par-des-acteurs-dexperience/
Seghers, J. (2020). Whatever It Takes: A rapid and massive increase in aid is needed to save millions of lives and bring our divided world together amid the coronavirus pandemic. Briefing Paper. Oxfam. http://policy-practice.oxfam.org.uk/publications/whatever-it-takes-a-rapid-and-massive-increase-in-aid-is-needed-to-save-million-620982
Sesmaisons, H. (2020). L’impact de la Covid-19 sur les organisations de la société civile africaine. Alternatives humanitaires. Focus du 22 novembre 2020. http://alternatives-humanitaires.org/fr/2020/11/22/limpact-de-la-covid-19-sur-les-organisations-de-la-societe-civile-africaine/
UNCTAD, (2020), The Covid-19 Shock to Developing Countries: Towards a “whatever it takes” programme for the two-thirds of the world’s population being left behind. United Nations Conference on Trade and Development.
Interssant