Aussi loin qu’on remonte dans l’histoire du Québec, l’alcool prend place dans le paysage social et constitue invariablement un enjeu public auquel sont appliqués divers contrôles. En fait, chaque époque produit à sa manière ce qu’Henri Bergeron appelle « une qualification de l’alcool comme problème public » (2008, p. 343). Et même si l’encadrement étatique de l’alcool ne datent pas d’hier – nous fêterons bientôt le centième anniversaire de la création de la Commission des Liqueurs –, le Québec d’aujourd’hui n’y échappe pas et certains aspects de l’alcool portent toujours à controverse. L’objectif de cet article est donc de porter un éclairage sur des transformations en cours dans le processus de qualification de la consommation d’alcool, au niveau notamment de ses dimensions jugées problématiques.
Pour ce faire, nous attirons l’attention sur la Fondation Jean Lapointe, un acteur influent au Québec en matière de sensibilisation aux risques de la consommation d’alcool. Créée en 1982 pour soutenir la Maison Jean Lapointe dans ses activités de financement et de promotion, cette organisation définit comme suit sa mission sociale : « recueillir les fonds qui nous permettent de soutenir activement et de manière significative la lutte contre la toxicomanie et les autres dépendances qui affectent la population ». Même si la Fondation apporte encore un financement substantiel pour la Maison Jean Lapointe, depuis 2008, elle développe aussi un programme de prévention des toxicomanies chez les adolescent-es. Et à l’aide d’une subvention de 1,5 million qui lui a été consenti par le gouvernement du Québec – en raison de la légalisation du cannabis qui sera bientôt en vigueur – la Fondation agrandira prochainement ce programme de prévention afin d’atteindre 85% des élèves qui fréquentent une école secondaire au Québec[1]. Les actions que mènent cette fondation profitent d’une grande visibilité médiatique et ses programmes bénéficient d’une notoriété publique importante, comme en témoigne l’annonce de cette subvention gouvernementale. Cette légitimité la positionne comme un acteur privilégié pour activer le débat au sein de l’espace public concernant des enjeux liés à la consommation d’alcool et des drogues.
Cependant, ce n’est pas l’impact de ses programmes sur la population qui nous interpelle ici. En amont de son programme de prévention des dépendances auprès des jeunes, la Fondation organise le défi 28 Jours sans alcoolpour lever les fonds nécessaires au subventionnement de ce programme. C’est sur ce défi que nous nous pencherons. Pour l’expliquer simplement, celui-ci consiste à demeurer sobre durant tout le mois de février. Les participant-es doivent faire un don minimum de 28$ pour s’inscrire au défi et avoir accès à une plateforme interactive[2], et peuvent solliciter des personnes de leur entourage pour les parrainer (c’est-à-dire les encourager en faisant des dons supplémentaires pour la cause). Cet événement gagne continuellement en popularité auprès de la population québécoise : la dernière édition a mobilisé 7050 participant-es (y compris les parrains et marraines) et a permis de récolter plus de 450 000$. Puisque l’événement incite tous et chacun à prendre conscience de ses propres habitudes de consommation, le défi produit un impact qui dépasse largement la stricte mission, définie autour des problèmes liés aux dépendances. Bien plus que de simples donateurs qui soutiennent la prévention des toxicomanies auprès des jeunes, les participant-es du défi viennent exposer des enjeux liés à l’alcool qui ne sont pas dudomaine des addictions, mais des normes et pratiques sociales établies qui régulent la consommation quotidienne de beaucoup de Québécois et Québécoises. Nous soutenons ainsi qu’en plus d’être une campagne de financement servant à amasser des fonds et populariser sa cause, le défi 28 jours donne lieu à un mouvement collectif qui prend pour cible des habitudes consommatoires culturellement intériorisées par une partie de la population. C’est pourquoi le défi affecte et transforme les rapports à l’alcool de ceux et celles qui y participent. Pour vérifier cette hypothèse d’un croisement entre sollicitation philanthropique et détermination de comportements sociaux, nous proposons d’analyser les propos que tiennent les participant-es du défi sur les réseaux sociaux. La Fondation se montre très active sur Facebook via sa page 28 jours sans alcool / 28 Days Sober afin d’encadrer le défi, actualiser son contact avec les troupes et, surtout, favoriser échanges et discussions. C’est à partir de cette banque de données que nous aborderons ce que nous croyons être la genèse d’un discours alternatif, voire d’une vision concurrente de la consommation d’alcool, ayant pour résultat l’inculcation de nouveaux usages des boissons alcoolisées.
Être sobre temporairement : un défi, vraiment?
De prime abord, on peut se surprendre que le fait de ne pas boire puisse faire l’objet d’un défi. Il est encore plus étonnant que ce défi soit adressé indistinctement à l’ensemble de la population, sans égard pour la relation qu’entretiennent les individus avec l’alcool. En présentant sa mobilisation sous la forme d’un défi ouvert à toutes et tous, la Fondation Jean Lapointe sous-entend de facto que ne pas boire n’est pas une épreuve restreinte aux personnes souffrant d’alcoolisme, mais un défi digne de ce nom et qui n’est nullement l’affaire exclusive d’une minorité aux prises avec des addictions. Or, c’est justement ce qu’il ressort des témoignages recueillis sur Facebook. Plusieurs personnes affirment faire le défi en dépit du fait qu’elles ne se considèrent aucunement comme de grand-e-s consommateurs-rices de boisson. Par exemple, une candidate avoue ceci : « Je prenais peut-être trois à quatre verres avec alcool par mois, pas beaucoup, mais croyez-le ou pas, ça me manque, mais je tiens le coup» alors qu’une autre fait une déclaration sensiblement similaire : « Je ne suis pas une grande buveuse à la base, mais c’est agréable et je voulais tenter le défi pour voir si j’en aurais vraiment envie… et c’est arrivé à quelques reprises». Ajoutons que ce genre de personnes ne représentent pas de simples sympathisant-es de la cause, qui font le défi pour encourager la prévention chez les jeunes ou en guise de solidarité pour des proches ayant souffert d’une dépendance. Le défi est fondamentalement conçu pour les gens ayant une consommation jugée « normale ».
Pourtant, malgré le fait qu’il s’adresse à monsieur madame tout le monde, de nombreux commentaires, variant en intensité, font remarquer que le défi n’est pas pour autant une partie de plaisir. Un candidat va même jusqu’à parler de supplice: « Je l’ai fait deux fois [le défi]… Même qu’en une occasion, j’ai décidé de prolonger le supplice pour me rendre à 100 jours». D’autres personnes expriment leur épuisement après une certaine partie du défi de complétée. En date du 21 février, une candidate échappe ceci : « commence à trouver son 28 jours sans alcool un brin chiant… Apportez-moi du vin!», tandis qu’un autre candidat, dès la première semaine, confesse qu’il ne réussira probablement pas à se rendre à la fin du mois, comme bien d’autres participant-es d’ailleurs : « 7e jour sans alcool. Pas sûr que je vais me rendre à 28. C’est sûr qu’il y en a beaucoup qui ont déjà triché, probablement plus qu’on pense». Certaines personnes essaient quant à elles de se faire rassurantes en affirmant que le défi s’adoucit lorsqu’on répète l’expérience : « La première année c’est la plus difficile, mais après cinq ans, c’est comme tout autre défi!» ou encore « C’est ma deuxième année. L’an dernier j’avais le vertige le soir du 31 janvier. Cette année j’avais hâte! […]». Par conséquent, à la lecture de ces nombreux commentaires, on ne peut guère contester le sérieux du défi, et ce, même pour les personnes qui ne souffrent pas d’une dépendance au sens psychiatrique et physique du terme. Dès lors, comment est-ce que les participant-e-s rationalisent cette mise à l’épreuve qui, à les entendre, semble exiger un brin de masochisme? Quelles sont les raisons prédominantes mises de l’avant pour justifier cette autoflagellation que représente ce carême de la bouteille?
Le défi, une pause contre l’habituation à l’alcool
S’il se passe un truc moche, on boit pour essayer d’oublier; s’il se passe un truc chouette, on boit pour le fêter, et s’il ne se passe rien, on boit pour qu’il se passe quelque chose. Charles Bukowski
Sans prétendre faire le tour de cette complexe question, les commentaires qui défilent tout au long de février sur les réseaux sociaux nous révèlent des éléments de réponse fort intéressants. Un humoriste dénommé Martin Malette lance une blague éloquente sur Twitter, qui m’a marquée autant par son humour que pour son manque de justesse : « Tu sais qu’une société est alcoolique quand elle choisit le mois le plus court pour ne pas boire». Même s’il s’agit seulement d’une blague sans prétention explicative sur le mouvement qu’elle tourne au ridicule, reste qu’elle pointe un court-circuit interprétatif pernicieux pour appréhender les causes profondes de la participation au défi. Lorsqu’on scrute attentivement ce que disent les gens qui relèvent le défi, ce qui se manifeste n’est pas une espèce de dépendance psychologique à l’alcool inconsciemment refoulée qu’ils et elles se découvrent à force de privation. Nous ne sommes pas en présence d’une épidémie d’alcoolisme que la mobilisation mettrait au jour progressivement, en faisant constater aux participant-es un état psychopathologique qu’ils n’osaient s’avouer auparavant.
À vrai dire, les déclarations recueillies sur Facebook font apparaître une critique de la place qu’occupe l’alcool actuellement dans la vie sociale de nombreux participants. L’alcool est représenté comme une activité sociale, omniprésente, qui rythme la vie quotidienne, et face à laquelle les participant-es ont le sentiment d’être en quelque sorte dépossédé-es de leur autonomie en ce qui a trait à la détermination de leur mode de consommation. Ce rapport à l’alcool est aux antipodes d’une consommation non contrôlée et chaotique comme dans les cas d’alcoolisme. Si les occasions de boire sont nombreuses[3]– d’où le rapprochement qu’on peut être tenté de faire avec l’alcoolisme – boire reste pour de nombreux-ses répondant-es une activité occasionnelle et sociale. Pour illustrer ce point, nous avons sélectionné un ensemble de commentaires où les participant-es confessent leurs habitudes de consommation, qui sont de l’ordre de la routine et du rituel.
D’abord, la consommation routinière vient du fait que la prise d’alcool s’est instituée comme réponse à diverses situations émotives, tant positives que négatives. Un-e candidat-e explique ses habitudes de consommation afin de justifier sa participation au défi : « J’ai débuté le 26 janvier, je suis si bien que je poursuis! Je consommais quotidiennement : deuil, stress, relaxations, satisfactions, etc.». Ce n’est donc pas nécessairement une consommation abusive d’alcool qui est vécue comme problématique, mais plutôt le fait que la consommation, même modérée, est devenue un automatisme. C’est parcequ’il vise des réflexes liés à l’usage d’alcool que le défi séduit un grand nombre de participant-e-s : «J’ai aimé cette réflexion sur moi-même! Boire peu, mais trop souvent… Sans tombé dans l’excès du “je ne bois pas du tout”, il est important de régulariser sa consommation. Le verre du “ce fût une mauvaise journée”, le verre du “j’ai atteint mes objectifs”, etc. Vraiment, ça porte à réfléchir sur soi!». Une personne ayant réussi le défi raconte qu’elle réalise désormais qu’elle buvait de façon routinière sans trop se poser de questions, simplement parce que des moments de la journée ou de la semaine étaient identifiés comme période de consommation : « J’ai atteint mon 28 jours lundi, alors je continue jusqu’à samedi! Je suis contente de l’avoir fait et de réaliser que parfois on boit par habitude, juste parce que c’est l’heure de l’apéro et que c’est le week-end».Un des cas les plus typiques de la consommation routinière face auquel les participant-e-s avouaient vouloir se distancier est, sans contredit, le petit verre d’après travail : « Une journée en émotions au travail aujourd’hui. C’est dans de tels moments que l’envie de prendre une bière à la fin de la journée me titille. J’ai résisté et je n’ai pas ouvert la bouteille. J’ai plutôt pris de bonnes respirations ».
À cette routinisation de la consommation d’alcool, se superpose une autre forme de consommation, annexée à un ordre rituel de la vie collective. Dans le cadre du défi, plusieurs individus ont évoqué des habitudes consommatoires qui se révèlent être, selon leur dire, très bien arrimées et synchronisées avec un calendrier socioculturel rythmant leur existence. Un participant explique qu’il lui sera aisé de passer à travers le défi, puisqu’il y a peu d’activités sociales durant cette période : « Honnêtement, je bois uniquement quand on a une occasion (souper d’amis, fêtes, etc.). Habituellement, c’est une période vraiment tranquille côté occasions à partir de la mi-janvier. Alors il n’est pas rare que je puisse passer deux à trois mois sans alcool…». Ceci dit, beaucoup d’autres participant-es ne partagent pas cet avis, en mentionnant la Saint-Valentin et le Superbowl comme évènements très étroitement associés à la consommation d’alcool. Une participante avoue même faire le défi tout le mois durant, à l’exception de la journée de St-Valentin : « Il arrive quoi si on a triché le 14 février? En fait, je m’étais inscrite avec dérogation prévue! ». Un autre raconte que le Super Bowl représente l’épreuve ultime du défi selon lui : « […] J’ai trouvé le défi moins pénible cette année que l’an dernier. Il suffit de passer le “Sober Bowl” et la suite va bien!». Qui plus est, il est intéressant de constater que des participant-e-s ont recours à des boissons désalcoolisées. Cette tactique permet de mieux affronter ces situations d’effervescence collective contagieuse, qui ébranlent sérieusement la résistance des individus. « Première fois ici pour le couple, on aime bien prendre un verre de vin régulièrement et on trouvait que ce défi nous ferait du bien tant au niveau santé qu’au niveau prise de conscience. À date tout se passe très bien, bière et vin sans alcool pour le Superbowl et resto “apportez votre vin” sans alcool pour la St-Valentin, prévu pour le 14 février». Ainsi, lorsque des participant-es nous disent « Je vais prendre l’habitude de boire sans boire d’alcool[…] » ou « À mon étonnement, je réussis mon défi! Pendant les soirées entre amis, j’opte pour une boisson désalcoolisée et le tour est jouée! », ce qu’ils nous disent en vérité, c’est qu’ils vont arrêter de consommer des produits alcoolisés sans pour autant compromettre leurs habitudes; ces substituts faisant ici office de placebo pour leurrer des routines et des rituels consommatoires qui ne cessent pas moins d’exister.
En définitive, en mettant sur pause la consommation d’alcool d’un grand nombre de personnes, le défi vient briser momentanément ce qu’on pourrait appeler une « habituation »[4] à l’alcool, phénomène qui se manifeste dans l’exécution d’un ensemble de routines et de rituels régissant la vie quotidienne. C’est ainsi qu’il offre la possibilité d’une conscientisation individuelle et collective concernant cette naturalisation de la consommation d’alcool, profondément ancrée dans les mœurs de nombreux Québécois-es. Bref, la Fondation libère un espace de réflexion en formant une communauté qui fait l’expérience commune de la sobriété et qui s’interroge publiquement sur la place socialement acceptable (et souhaitable) de l’alcool dans la vie de tous les jours.
Quelle redéfinition normative de la consommation d’alcool?
Finalement, il importe de spécifier que l’entreprise de la Fondation, via son défi, n’en est pas seulement une de déconstruction d’une emprise culturelle de l’alcool sur les individus, mais aussi de reconstruction d’une norme valorisant une forme spécifique de consommation. Il faut dire cependant que la Fondation ne se veut pas trop prescriptive – elle essaie surtout de conscientiser sans pour autant professer un modèle très bien défini de consommation responsable ou raisonnable. C’est ce qui explique par ailleurs que le déplacement normatif qui s’opère au cours de cet événement ne s’exprime pas nécessairement en toute clarté aux yeux des participant-e-s. « J’apprends à poursuivre le défi. J’ignore où je vais exactement, mais je me sens bien» admet tout bonnement l’un d’eux. À vrai dire, on assiste peut-être plus à une co-construction d’un discours, qui émerge progressivement des échanges et des partages d’expérience sur les réseaux sociaux. En effet, dans les nombreux commentaires visant à justifier leur participation au défi ou à faire un plaidoyer de la sobriété, on voit apparaître un discours qui appréhende l’alcool en termes de saines habitudes de vie et de bien-être. La sobriété et, dans une moindre mesure, la modération, sont valorisées pour les gains de santé physiques et psychologiques qu’elles procurent. Dans l’après-défi, on ne compte plus le nombre de personnes qui disent se « sentir bien» ou se «sentir mieux». Et parmi ceux et celles qui n’en sont pas à leur première édition, la formule « nettoyage du corps et de l’esprit» est souvent utilisée pour qualifier ce que représente le défi dans leur année. Une participante explique de façon plus détaillée ce que lui apporte cette période d’abstinence : « J’ai commencé le 7 janvier (en prévision de participer au 28 jours cette année). Je me sens mieux, physiquement, mais surtout psychologiquement. Plus heureuse. Plus positive. Plus éveillée. Je vais continuer pour atteindre le 6 mois et… peut-être perpétuer mon abstinence». Bref, il se forme un consensus assez clair sur l’appréhension de la sobriété et/ou de la modération en tant que comportements de santé.
Conclusion
Pour récapituler, l’étude de cette mobilisation collective que met en branle la campagne de financement de la Fondation Jean Lapointe peut servir de porte d’entrée pour éclairer une nouvelle étape de l’histoire sociale de l’alcool au Québec. Les participant-es du défi qui commentent sur les réseaux sociaux fournissent une source de données à partir de laquelle nous pouvons aborder la genèse d’une redéfinition de leur rapport à l’alcool. Si le défi organisé par la fondation déstabilise un ensemble de représentations collectives et de pratiques consommatoires ancrées dans la vie quotidienne de plusieurs, notre article a aussi montré que celui-ci s’immisce dans l’espace public en tant que vecteur d’introduction de nouvelles normes qui définissent la consommation en termes de « saines » habitudes de vie. Notons également que la Fondation joue un rôle central dans la création et la popularisation de ces nouveaux rapports à l’alcool. D’abord parce qu’elle est l’hôte du défi 28 jours, mais aussi parce qu’elle recherche tout au long du mois à mettre en marche un dialogue chez ses participant-es. Par exemple, l’organisation suscite continuellement la prise de parole des participant-es, soit par des publications de tout genre ou en leur adressant directement des questions ouvertes du genre : «Comment on se sent un mois après le défi ? Est-ce que votre réflexion sur votre consommation d’alcool continue ? Est-ce que vos bonnes habitudes sont maintenant ancrées dans votre routine ?». Ceci dit, l’influence de l’organisation quant à la transformation des mœurs semble se limiter à un travail de conscientisation et de sensibilisation ; tandis que l’émergence et l’appropriation d’un discours sur les « bonnes habitudes » est en grande partie du ressort des participant-es, qui jouissent d’une grande liberté interprétative pour rationaliser leur expérience de la sobriété ou de la modération.
En définitive, nous pouvons valider notre hypothèse initiale, voulant que la mobilisation générée par le défi agisse sur une forme particulière de la consommation d’alcool, n’appartenant pas au registre des dépendances, mais à celui des pratiques socioculturelles. Ces dernières sont intériorisées et reproduites par bon nombre de Québécois et Québécoises, qui les remettent désormais en cause en imposant volontairement un temps d’arrêt à leur consommation lors du défi. Cette période de réflexion et de conscientisation permet par la suite la formulation et l’émergence d’un contre-discours, qui vante la modération et la sobriété pour leurs bienfaits sur la santé. Les activités philanthropiques mises en œuvre par la Fondation ont donc un impact qui transgresse largement les strictes frontières de sa mission sociale.
Pour télécharger le document pdf, c’est ici.
Henri Bergeron (2008). « Qualifier en politique : l’exemple du problème alcool », Santé Publique, Volume 20, p. 341-352. URL : https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2008-4-page-341.htm
Peter Berger et Thomas Luckmann. « La construction sociale de la réalité », Paris, Armand Colin, 2014, 340 p
La Presse Canadienne (avril 2018). « Cannabis et prévention: 85% des jeunes du secondaire seront rencontrés », La Presse, URL :http://www.lapresse.ca/actualites/education/201804/09/01-5160397-cannabis-et-prevention-85-des-jeunes-du-secondaire-seront-rencontres.php
Roger Sue.Temps et ordre social. Sociologie des temps sociaux, Paris, PUF, 1994, 313 p.
Sarah R. Champagne (février 2018). « Février sans alcool : vers de (non) alcooliques (non) anonymes », Le Devoir, URL : https://www.ledevoir.com/societe/520149/fevrier-sans-alcool-vers-des-non-alcooliques-non-anonymes
Thierry Fillaut. « De la temperance à la consummation à faible risque (1880-2010) : Survol historique des normes en matière de prévention de l’alcoolisme en France », Réseau Alcool Toxique du Ponant, Colloque Alcool et Normes, Octobre 2011, Landerneau, France, p. 12-18.
Patrick Lagacé (Février 2018). « On a tous quelque chose à engourdir », La Presse, URL : http://plus.lapresse.ca/screens/ff404592-5e7c-4132-8fad-20b14de2a0d9__7C___0.html
[1]Voir : http://www.lapresse.ca/actualites/education/201804/09/01-5160397-cannabis-et-prevention-85-des-jeunes-du-secondaire-seront-rencontres.php
[2]http://www.defi28jours.com/notre-communaute/club-28/
[3]Comme nous le verrons, les participant-es accusent beaucoup ce que Roger Sue appelle des « temps sociaux », qu’il définit comme « les grandes catégories ou blocs de temps qu’une société se donne et se représente pour désigner, articuler, rythmer et coordonner les principales activités sociales auxquelles elle accorde une importance particulière ». En guise d’exemple, il est très révélateur que les participants évoquent ces occasions lorsqu’il est question de leur consommation d’alcool : souper d’amis, l’heure de l’apéro, fin de journée au travail, le temps des fêtes, la St-Valentin, des évènements sportifs comme le Super Bowl, et j’en passe.
[4]Nous empruntons ce concept à Berger et Luckmann (2014, p.110), chez qui il signifie une reproduction de l’activité en fonction de modèles préétablis. L’habituation permet ainsi de grandes économies d’efforts pour l’individu qui n’est pas contraint de redéfinir sans cesse chacune des situations qui tapissent son existence. Pour parler encore dans le langage de ces auteurs, disons que les activités qui relèvent de l’habituation sont intégrées dans la « zone non-problématique » de la vie quotidienne (idem., p. 72).