Kerlande Mibel est titulaire d’un diplôme de 2ecycle (DESS) en gestion des organisations de l’Université Laval. Elle a démarré Zwart communication, une agence de communication qui se spécialise dans le marketing des diversités. Elle a œuvré pendant dix ans en développement économique, employabilité et entrepreneuriat féminin. À titre de professionnelle en développement économique, Kerlande Mibel a été l’instigatrice du Défi de l’entrepreneuriat au féminin de Montréal et des Journées de l’entrepreneuriat féminin des professionnels en développement économique. Elle a fondé, en 2015, le Forum Économique International des Noirs. Kerlande Mibel a siégé et siège sur différents conseils d’administration dont celui de la Tohu, des Grands frères et grandes sœurs du Canada et de la Fondation de l’Office municipal et d’habitation de Montréal.
Lynda Rey: Comment définir le rôle et la mission du Forum Économique International des Noirs (FEIN) ?
Kerlande Mibel : Le FEIN est né en 2015 de ma conviction profonde que les populations noires africaines et afro-descendantes, quelles que soient leurs origines, peuvent et doivent s’approprier leur pouvoir économique. Il s’agit d’une organisation apolitique entièrement dédiée à l’épanouissement et à l’enrichissement économique des personnes africaines et afro-descendantes. Le FEIN est une plateforme innovante et de collaboration entre les individus, les organisations, les élu.e.s, les entreprises pour trouver des solutions durables aux enjeux et problématiques économiques que vivent les populations noires tant aux échelles locale qu’internationale. Elle constitue un espace de réflexion sur les conditions gagnantes pour que les Noir.e.s puissent créer de la richesse, innover et agir comme force économique au sein de la société. Notre mission consiste à accélérer la création de la richesse des Noirs. Et par le fait même, renforcer leur participation économique. Pour nous, plus les communautés noires africaines et afro-descendantes seront économiquement fortes, plus les sociétés (québécoises et autres) seront fortes. Toutefois, le focus est mis sur l’individu comme moteur du changement.
Lynda Rey: Comment identifiez-vous les enjeux auxquels vous répondez ?
Kerlande Mibel : Les enjeux auxquels sont confrontées les communautés noires sont multiples et complexes. Lors de l’édition 2015 du FEIN à Montréal, les 150 personnes présentes ont identifié neuf grands enjeux, dont l’innovation en éducation, les technologies, l’accès à la propriété, la monoparentalité et les façons de se bâtir une influencedans les différentes sphères décisionnelles. Pour répondre à ces enjeux, nous œuvrons dans différents domaines.
- Promouvoir l’autonomisation économique des populations noires locales et internationales.
- Engager des Noirs-es sur les enjeux économiques les concernant.
- La mobilisation des différents acteurs concernés par ces problématiques et enjeux pour catalyser le progrès économique des Noir.e.s.
- La proposition de solutions pragmatiques aux enjeux économiques que vivent les populations noires locales et internationales.
Lynda Rey : Au cours des dernières années, quelles évolutions notables sont à mettre en lumière ?
Kerlande Mibel : L’édition 2018 du FEIN fut un appel aux communautés noires pour se réunir, apprendre d’hommes et de femmes d’affaires et de professionnels-es aguerris-es et se connecter pour échanger et collaborer dans la création de collectivités prospères! Des invités de haut calibre ont accompagné les participants-es pour concrétiser leurs idées.
Cet événement a réuni des entrepreneurs-es, des professionnels-les, des universitaires, des étudiants-es, des chercheurs-es, des fonctionnaires des trois paliers de gouvernement, des intervenant.e.s, des organisateurs et organisatrices communautaires. Nous comptions sur la représentation de plus d’une vingtaine de communautés noires. Des représentants-es de cinq pays ont participé aux activités du FEIN.
- Lancement du Forum économique international des Noirs.
- Première édition de la non-conférence Accélérer la création de la richesse des Noirs.
- Lancement de l’Alliance économique des Noirs.
- Première édition du Forum économique international des noirs.
- Première grande Conversation économique.
En tant que catalyseur, nous avons créé un environnement immersif, collaboratif qui a stimulé les participantes et les participants à la recherche de solutions ; et surtout, à passer à l’action pour mettre en œuvre des stratégies à haute valeur ajoutée.
Ce forum se veut un espace pour favoriser la réussite en affaires de ces communautés, vise principalement à trouver des moyens pour permettre aux Noir.e.s de gravir les échelons et de percer le monde des affaires.
Il s’agit, également d’un espace pour trouver collectivement des pistes de solutions adaptées aux réalités des communautés Noires d’ici et d’ailleurs et de passer à l’action en vue de créer des collectivités prospères. Notre démarche s’inscrit dans une logique de justice sociale et de développement économique. Des enjeux dont l’importance est renforcée par la proclamation de l’Organisation des Nations Unies qui a décrété la période s’étalant de 2015 à 2024 : « Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine ».
Nous avons été récompensés le 13 juin et 18 octobre 2018 du prix : « Entrepreneur Support Award » de l’année de Startup Canada tant au niveau du Québec que du Canada. Un prix attribué aux organisations qui font preuve d’excellence dans la promotion de l’entrepreneuriat canadien par leur leadership, leur innovation et leur influence.
Lynda Rey: Comment le FEIN prend part à la perspective de transformation sociale en matière d’empowerment ? Quel est son rôle dans la chaîne des actions qui sont entreprises ?
Kerlande Mibel :En tant que plateforme de valorisation, le FEIN vise l’amélioration et l’autonomisation (empowerment) économique des populations noires, et, en ce sens, s’inscrit dans une logique d’empowerment pur à travers trois principaux messages.
- Rappeler l’importance de la création de richesse chez les communautés noires au-delà des stigmas et préjugés. Il est important pour nous de changer le narratif associé à ces communautés aussi constituées de personnes riches. On compte des millionnaires, des multimillionnaires, mais nos communautés ne sont pas prospères. Est-ce qu’on ne peut pas prendre ces intelligences-là, tous ces talents dans tous les secteurs de la société et les mettre au profit des communautés noires et bâtir des collectivités fortes économiquement ? Avec tous les talents existants, on ne peut pas se permettre d’être dans une logique attentiste. Il nous faut être proactifs.
- Mettre en contact avec des Noirs-es qui ont réussi économiquement avec tous ceux et celles qui veulent investir et s’investir. Ces réseautages sont maintenus bien au-delà de la prestation de l’événement.
- Contribuer au développement économique de la société québécoise dans son ensemble. Nous croyons qu’en contribuant à bâtir des communautés noires prospères, nous obtenons des gains pour la société dans son ensemble. Pensons, notamment aux poches de pauvreté à Montréal. L’écart entre le taux de chômage de la population native et celui des immigrants, en particulier les Noirs-es, est plus élevé à Montréal. Nos activités inspirent également d’autres communautés qui souhaitent s’en aller dans la même direction. Pour nous, les transferts de savoirs entre communautés sont d’une grande importance pour le progrès social et économique.
Lynda Rey : Pourriez-vous nous parler du financement du FEIN ?
Kerlande Mibel :Le FEIN est essentiellement financé grâce à des fonds propres et des apports provenant de donateurs privés. Le FEIN bénéficie également de gratuités offertes par des entreprises privées.
Lynda Rey : Épisode a récemment sorti son étude sur les tendances du marché philanthropique québécois. Une des conclusions est le potentiel grandissant en termes de dons chez les nouveaux arrivants. Qu’en pensez-vous ? Comment réagissez-vous à cette annonce ?
Kerlande Mibel : Je pense que les personnes immigrantes sont des philanthropes dans l’âme. Selon l’enquête canadienne sur le don, le bénévolat et la participation (ECDBP), réalisée en 2010, les immigrants qui ont fait des dons, ont donné en moyenne 554 $, comparativement à 409 $ pour les personnes nées au Canada. De plus, ces personnes contribuent de façon significative à l’économie de leurs pays d’origine à travers des transferts monétaires. Bien qu’on ne les reconnaît pas comme tels, ces personnes sont de vrais philanthropes qui, en l’occurrence, répondent totalement au principe du don de soi, lequel se trouve au cœur de la philanthropie. Ils et elles n’obtiennent aucun retour, si ce n’est d’être solidaires avec les membres de leur famille restés à l’étranger.
Le potentiel de dons chez les nouveaux arrivants se concrétiserait davantage si les organisations se questionnaient davantage sur l’intérêt des nouveaux arrivants à investir dans leur organisation? Qu’est-ce qu’ils y gagnent et comment cela pourrait bénéficier à leurs communautés? La contribution des immigrants récents ou pas doivent être valorisés.