Les politiques culturelles de soutien à la philanthropie au Québec

Par Jules Bonnet , Diplômé d’une maîtrise en management des entreprises culturelles , HEC Montréal
Par André Courchesne , Professeur associé à la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux, HEC Montréal
26 septembre 2023

Le vendredi 2 décembre 2022, Culture Montréal, l’Orchestre Métropolitain de Montréal, la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux et le Conseil des arts de Montréal ont réuni environ 220 professionnel.le.s du domaine des arts autour d’un thème précis : quelles ambitions pour les politiques culturelles en soutien à la philanthropie au Québec ?

Philanthropie culturelle : quelles ambitions pour le Québec? Au cours de ce colloque d’une demi-journée, il a été question de dresser un état des lieux de la situation, dix ans après la publication du rapport Bourgie. Pour rappel, ce rapport publié en 2013 sous la direction de Pierre Bourgie avait fait date dans le milieu de la philanthropie culturelle : pour la première fois, le don était perçu comme un moyen pérenne de financer les arts et la culture et une liste de recommandations présentaient les politiques à mettre en place. Suite à ce rapport et à ses revendications, le décideur public avait répondu présent et affirmer son objectif de promouvoir le don et rattraper le retard qu’accusait le Québec en la matière. Outre la mise en place d’une déduction fiscale supplémentaire pour le premier don d’un particulier en culture, le programme Mécénat Placements Culture – qui permet d’appareiller les sommes récoltées par les organismes à une subvention publique – avait été réformé par le ministère de la Culture.

 

 

 

La situation de la philanthropie au Québec : des aspects encourageants

Les efforts mis en place ces dernières années pour placer la philanthropie au cœur des sources de revenus des organismes culturels québécois semblent avoir porté leurs fruits.

Depuis les dix dernières années, le montant des revenus des organisations culturelles québécoises issus des dons et du financement privé ne cesse d’augmenter. Et les chiffres peuvent parfois étonner : alors que la pandémie a fortement impacté les montants des revenus de sources privés tels que les commandites, les dons des particuliers sont, eux, restés stables sur la période pandémique. Et, ce, malgré les fermetures et les confinements.

Toutefois, lorsqu’on compare le Québec au reste du Canada, un retard reste toujours observé : alors que 25% des revenus des organismes culturels du reste du Canada sont issus du financement privé, cette part ne représente que 15% dans les organismes québécois. Et ce retard se perçoit également dans les montants des dons récoltés par les organismes, qui sont bien supérieurs dans le reste du Canada qu’au Québec.

 

Les politiques québécoises de soutien à la philanthropie culturelle : de bonnes avancées mais un travail inachevé

En 2022, le colloque fut donc l’occasion de souffler les dix bougies de ces politiques initiées ou modifiées à la suite du rapport Bourgie tout en faisant un diagnostic de leurs forces et faiblesses.

Lancement du nouveau programme: MÉCÉNAT PLACEMENTS CULTUREDu côté des participant.e.s, le mot d’ordre a été unanime : le programme Mécénat Placements Culture est victime de son succès. En effet, au vue des listes d’attente et des taux d’appariement, force est de constater que l’objectif premier du programme n’est plus vraiment atteint. Alors que la volonté principale était d’apporter un dollar public pour chaque dollar récolté en don, le taux d’appariement actuel ne répond plus à cet objectif premier. Un nombre croissant d’organismes culturels se retrouvent autour de la table bien que le budget alloué soit resté le même depuis 2004 (5 millions de dollars). Le plafonnement du montant de l’enveloppe alliée à l’augmentation croissante des demandeurs ont pour conséquence inévitable une diminution de l’appariement de la subvention et une concurrence accrue entre demandeurs. Une situation semblable prévaut à Patrimoine canadien dont le budget d’appariement n’a pas été augmenté.

De plus, comme l’a très justement souligné Moridja Kitenge Banza[1] au cours du colloque de décembre 2022, les stratégies de financement privé profitent surtout aux plus gros. Les disparités en termes de visibilité, d’image de marque, de ressources humaines et financières rendent plus difficile la pratique de la philanthropie chez les petits organismes. De plus, des programmes tels que Mécénat Placements Culture étant orientés vers la constitution de fonds de dotation à perpétuité, les plus petits organismes y voient moins leur intérêt : leurs besoins de liquidité s’exprimant davantage à court et moyen terme.

Enfin, comme l’ont souligné Wendy Reid et Caroline Bergeron, expertes en philanthropie et présentes lors du colloque, la mise en place d’une stratégie philanthropique passe indéniablement par le développement d’une culture philanthropique. Ce à quoi les politiques actuelles, proposant une déduction fiscale supplémentaire pour les premiers dons en culture, ne participent guère. Les professionnels en poste dans les organismes en témoignent : la déduction du premier don en culture devrait pouvoir se poursuivre dans le temps afin de créer une relation à long terme avec le donateur, objectif recherché par cette politique.

 

Des réponses attendues du côté du décideur public

À la suite de ce colloque historique, les pouvoirs publics ont dit avoir pris note de la situation et des enjeux soulevés lors de la rencontre. Tout réside maintenant dans l’importance qu’ils accorderont à ces derniers et des réponses qu’ils apporteront. Une revalorisation des enveloppes allouées à l’appariement est-elle envisageable ? Comment encourager davantage la philanthropie dans les plus petits organismes ? Peut-on imaginer d’autres mesures pertinentes telles que le prolongement de la déduction fiscale aux dons subséquents en culture ? À la lumière de ces questions cruciales, ne serait-il pas nécessaire d’écrire un nouveau chapitre du rapport Bourgie qui, onze ans après, viendrait en actualiser les réflexions sur à la philanthropie culturelle au Québec ?

De la même manière, on peut être amené à se demander si une partie de la réponse à apporter ne se situerait pas chez les donateurs. Comment le décideur public pourrait-il participer au développement d’une culture philanthropique chez les citoyens et citoyennes ? L’éducation au don et à la volonté de donner passerait également par l’éducation à la culture et la transmission de ce goût à la culture. Toutes les études le montrent : un donateur ou une donatrice ne le devient pas du jour au lendemain. Le don représente l’aboutissement d’une relation, d’un rapport entretenu entre l’individu et l’organisme culturel et plus largement entre l’individu et la culture en soi. Et c’est ici que le décideur public aurait un rôle actif à jouer pour permettre cette rencontre.

Les conseils des arts agissant sur le plan municipal, comme le Conseil des arts de Montréal, ont joué un important rôle de relais par leurs mesures facilitant le partage de l’expertise et le parrainage fiscal. Il reste maintenant aux autorités provinciales et fédérales à endosser pleinement le développement continu d’une culture philanthropique québécoise.


 

Photo: Grégoire Van de Maele

 

 

Jules Bonnet

Diplômé d’un baccalauréat en sciences politiques et d’une maitrise en gestion des organisations culturelles, ma curiosité m’a amené à travailler pour divers acteurs culturels. Que ce soit en politiques culturelles ou en philanthropie, je me passionne pour les sujets actuels en gestion culturelle. Le statut de rédacteur autonome me permet d’assouvir ma curiosité en mettant mes compétences au service de différents acteurs du milieu. 

 

 

Photo: HEC Montréal

 

André Courchesne

André Courchesne est Professeur associé à la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux de HEC Montréal où il enseigne les Politiques culturelles et le Marketing. Auparavant, il a été Directeur de la Division des arts et Chef du Service du théâtre au Conseil des Arts du Canada.  Avant de se joindre au Conseil, il a été le Directeur administratif du Festival Trans-Amériques, Directeur administratif du Théâtre le Carrousel et consultant auprès de plusieurs organismes artistiques.

Pour aller plus loin
Notes de bas de page

[1] Moridja Kitenge Banza est artiste et président de Culture Montréal.