Fondation KBF Canada, contribuer à une philanthropie sans frontières
Juriste de formation et passionné par le secteur philanthropique, Benoit Fontaine s’est joint à la Fondation Roi Baudouin en 1999, la plus grande fondation belge et fondation internationale majeure. En tant que Head of Venture Philanthropy, il y a lancé le Fonds Venture Philanthropy, un fonds qui a aidé activement des organismes charitables à se développer et à se restructurer en les coachant en matière de bonne gouvernance, de stratégie à long terme, de modèle d’affaires et d’évaluation d’impact. Il a également géré un programme d’aide à 300 jeunes issus de milieux défavorisés pour leur permettre de mieux réussir à l’école et de trouver un emploi. Il était aussi en charge de l’Observatoire des associations, un programme qui collecte des données et produit des rapport sur l’évolution du secteur. Depuis fin 2016, Benoît Fontaine est le Directeur général de la Fondation KBF CANADA.
David Grant-Poitras: Pour débuter, pouvez-vous indiquer l’origine de la Fondation Roi Baudouin et présenter sommairement sa mission de même que sa structure.
Benoit Fontaine : La Fondation Roi Baudouin a été créée en 1976 à Bruxelles à l’initiative du roi de Belgique, soit le roi Baudouin à l’époque. Pour le 25eanniversaire de son arrivée au trône, plutôt que de faire des fêtes et recevoir des cadeaux, il a souhaité la création d’une fondation qui porterait son nom. L’argent ne provient pas de la famille royale, mais de Belges et d’entreprises qui y ont contribué. Le capital de la Fondation a grandi avec le temps. De plus, à la fin des années 1980, nous sommes devenus bénéficiaires de droit de la Loterie nationale belge, ce qui nous donne annuellement un dix millions d’euros supplémentaires.
Au début des années 1990, nous avons enlevé le mot « Belge » de la mission de la Fondation. Auparavant, la mission était d’améliorer les conditions de vie de la population belge. Toutefois, au tournant des années 1990, a été exprimé la volonté que la Fondation soit fortement tournée à l’international, tout en restant aussi active en Belgique évidemment.
La Fondation Roi Baudouin soutient pour environ 60 millions de dollars en projets. La Fondation réalise aussi de nombreuses publications chaque année et opère de nombreux projets qui lui sont propres. Son budget total annuel est de l’ordre de 100 millions de dollars. Le personnel est composé d’environ 90 personnes et elle peut compter sur l’apport de 2600 experts afin de participer aux jurys de sélection et aux comités de travail. La Fondation reçoit et traite environ 6000 demandes de soutien par année. Elles proviennent d’OBNL, d’universités ou de personnes qui lui demandent un soutien financier pour un projet. Ces 6000 dossiers sont traités par 2600 experts qui s’engagent de façon tout à fait bénévole. Par exemple, si la Fondation veut soutenir un projet de recherche sur la rétinopathie diabétique, eh bien ! n ‘étant pas médecin, la Fondation mobilise trois ou quatre chercheurs-es qui peuvent conseiller sur les besoins au niveau de la recherche sur cette maladie. C’est beaucoup plus simple de faire confiance à des experts en cette matière. Cette façon de faire fonctionne bien, non seulement pour l’expertise apportée au sein des projets, mais aussi pour assurer une plus grande impartialité des décisions. Ces experts constituent également un très large réseau pour la Fondation.
La « Fondation Roi Baudouin » (FRB) ou « King Baudouin Foundation» (KBF) en anglais, est basée à Bruxelles (FRBB) et est une structure philanthropique indépendante de droit belge. Elle a été à l’initiative de la création de deux autres fondations avec lesquelles elles partagent son savoir-faire et son large réseau international :
- la King Baudouin Foundation United States(KBFUS) située à New York et qui existe depuis plus de 20 ans (501 C3 de droit américain);
- la Fondation KBF Canadaqui a été constituée il y a un peu plus de deux ans, mais active depuis un peu plus d’un an. La Fondation KBF Canada est enregistrée comme organisme de bienfaisance par l’Agence du revenu du Canada (ARC).
David Grant-Poitras: Quelle est la nature des relations entre ces trois structures ? Est-ce que chaque structure est indépendante et, si oui, y a t-il beaucoup d’échanges entre elles ?
Benoit Fontaine Les trois structures sont totalement indépendantes et c’est très important. C’est crucial que chaque structure soit indépendante et possède son propre conseil d’administration, avec des orientations stratégiques qui sont respectivement définies à Bruxelles, New York et Montréal en toute conformité avec les lois de chacun des pays. Ensuite, il y a un partage au sein de notre réseau de fondations des expertises présentes dans chacune des structures. Par exemple, nous pouvons demander à une autre structure s’il est possible de travailler avec tel partenaire au Kenya s’ils ont déjà été en relation avec lui. Il y a donc énormément de communication entre les trois structures, c’est sans arrêt. Quand on travaille à l’international, la force du réseau représente une plus-value. C’est essentiel quand vous voulez vous informer sur la fiabilité de tel ou tel partenaire ou agent afin de travailler en transparence et avec un maximum d’efficacité et d’impact.
David Grant-Poitras: Pouvez-vous expliquer concrètement comment vous vous y prenez pour mettre en œuvre vos projets philanthropiques à l’international ?
Benoit Fontaine : Si je prends KBFUS, pour soutenir des projets en Europe ou en Afrique, nous travaillons avec des résidents fiscaux américains. Il peut s’agir de particuliers, des entreprises ou même parfois des fondations. Il y a par exemple des Américains d’origine égyptienne (et donc issus de la diaspora égyptienne) qui habitent à New York et qui sont venus nous voir à KBFUS. Ceux-ci avaient bien réussi aux États-Unis, y étaient depuis 30 ou 40 ans, travaillaient dans le domaine médical et souhaitaient soutenir un projet au sein d’un hôpital au Caire. Ils auraient pu développer leurs propres outils philanthropiques, mais ce sont tous des gens qui ont leur boulot et qui, par conséquent, sont très occupés. Ils pourraient très bien créer leur propre fondation, mais ça couterait cher et exigerait beaucoup d’efforts : il faut recevoir l’argent d’un grand nombre de donateurs, il faut s’occuper des formalités fiscales et, après, le gros boulot est de garder le contrôle sur l’utilisation des fonds afin de s’assurer que le projet est réalisé et que l’impact souhaité est atteint, en envoyant de l’argent petit à petit en fonction de l’avancement du projet.. Vous n’allez pas envoyer tout d’un coup par mesure de sécurité. Vous devez vérifier qu’ils accomplissent leur travail correctement, puis après vous reversez une autre tranche et, aller sur place. Dans ce cas, nous travaillons avec une organisation locale en Égypte, mais dans d’autres cas nous mettons en œuvre le projet directement nous-mêmes sans l’intervention d’une autre organisation.
C’est donc à ce niveau que nous intervenons. Nous facilitons les ambitions philanthropiques des donateurs, nous mettons en œuvre et jouons un rôle de contre-leurre pour donner une garantie sur la bonne utilisation des fonds. Au-delà de recevoir l’argent, notre travail est de vérifier que le projet est bel et bien réalisable et, ensuite, de le faire « maturer » pour que l’argent soit utilisé à bon escient en déterminant la manière de réaliser le plus grand impact possible. Bref, nous conseillons les donateurs tout en gardant suffisamment de contrôle sur l’argent envoyé. Notre travail est vraiment d’écouter, de se dire que ce n’est pas uniquement les professionnels en philanthropie qui ont le monopole de dire qu’est-ce qu’il faut pour créer de l’impact sociétal. Monsieur et madame tout le monde, qui ont une expérience de vie, qui ont vécu des choses, possèdent une légitimité pour être à l’impulsion d’un projet charitable. Nous sommes ainsi à leur disposition pour écouter et mettre en place des instruments qui sont efficaces en matière de philanthropie internationale, et ce, avec des frais de gestion pris sur les dons très bas : 95% du montant donné pour un projet spécifique va sur place.
David Grant-Poitras: Votre modèle philanthropique me fait beaucoup penser à celui des fondations communautaires où les fonds abrités par la fondation sont conçus à l’initiative de donateurs interpellés par une variété de causes sociales.
Benoit Fontaine : En fait, c’est une analogie parfaite! Nous faisons ce que les fondations communautaires feraient au niveau local, mais pour l’international. L’analogie est impeccable. Il n’existe pas beaucoup d’autres modèles philanthropiques du même genre, et c’est en quelque sorte le but : nous ne sommes pas dans un domaine où nous voulons être en compétition. Nous avons ainsi pensé qu’il y avait une place à prendre ici au Canada, puisqu’il s’agit d’un pays présentant une forte immigration, où il y a des gens qui ont émigré il y a 30, voire 40 ans. Je pense que ces gens veulent donner localement au Canada, mais qu’ils n’oublieront jamais leurs racines; et l’un n’exclut pas l’autre. Par expérience, je pense que les gens agissent « et local et international » plutôt que « l’un ou l’autre ». Nous intervenons alors pour offrir un environnement qui garantit que l’argent sera bien utilisé. C’est certain que lorsque tu envoies de l’argent à l’international, il faut être encore plus contrôlant, parce qu’on l’envoie dans des pays où il est parfois nécessaire de se montrer très prudent.
David Grant-Poitras: Plus précisément, comment comprenez-vous votre rôle philanthropique dans le cadre de ces entités sociales que sont les diasporas ?
Benoit Fontaine : Il y a évidemment la philanthropie de la diaspora juive qui est extrêmement connue. Cette dernière est très organisée, mais il existe aussi d’autres diasporas qui ont peut-être moins de tradition et qui n’ont pas nécessairement leurs propres fondations et leur propre savoir-faire pour faciliter la philanthropie. Donc c’est là qu’on intervient.
Mais en ce qui a trait plus particulièrement aux pays en voie de développement, il y a derrière notre engagement philanthropique toute une conception du développement pour ces pays. Je pense que l’immigration qu’on retrouve au Canada est dans certains cas une immigration de gens très instruits. Il s’agit de gens qui, pas uniquement, mais souvent, ont quitté leur pays d’origine pour des raisons telles que des conflits armés ou religieux, etc. Leur migration ici constitue, d’une certaine manière, un « brain drain», c’est-à-dire un appauvrissement du capital intellectuel du pays d’origine… Et je pense que cette partie plus éduquée de la diaspora, qui en plus s’est éduquée parfois davantage en étant ici au Canada ou dans d’autres pays développés, peut apporter une contribution extrêmement importante pour les pays d’origine. Notamment parce que ce sont des gens qui ont un capital intellectuel, un capital financier, mais ils ont aussi un capital culturel. Et ça c’est intéressant, parce que le capital financier d’autres l’ont aussi. Cependant, avoir le capital intellectuel, le capital financier et puis le capital culturel, c’est une combinaison qui est très intéressante et qui permet d’éviter certaines erreurs.
Je vous donne un exemple. Il y a un pays en voie de développement où des ONG ont mis en place des puits pour favoriser l’accès à l’eau et faire en sorte que, dans certains villages, il ne soit plus nécessaire de marcher pendant une heure et demie pour aller chercher de l’eau. Les ONG ont donc rendu l’eau disponible, il suffisait désormais d’ouvrir le robinet ou d’allumer la pompe. Toutefois, les porteurs du projet se sont aperçus que quelque chose ne marchait pas dans ce projet-là. De l’argent avait été investi, mais les femmes n’étaient pas intéressées d’utiliser les puits. Elles sont intéressées d’aller faire une heure et demie de route. Alors nous, on ne comprend pas avec notre mentalité « occidentale ». Ce qui se cache derrière cette situation, c’est que le chemin pour aller puiser de l’eau constitue l’espace de liberté de ces femmes, qui se retrouvent justement entre femmes et non pas confinées à la maison, parfois sous l’emprise d’hommes. Et alors, elles ont besoin de cet espace de liberté, et donc aller chercher de l’eau. Ce n’est pas juste le fait « d’aller chercher de l’eau ». C’est un espace de parole, c’est un espace de partage entre femmes qui est important. Alors voilà : si vous travaillez avec des gens de la diaspora qui financent en tout ou en partie ce projet-là, ils vous le disent, ils le savent et ça fait une différence énorme. Alors je ne dis pas qu’on évite tout, mais je trouve que c’est vraiment important d’impliquer les diasporas dans les projets pour éviter certaines erreurs. Et il se trouve que c’est plus efficace aussi. C’est non seulement une source d’argent – parce qu’il faut être honnête, dans toute une série de ces pays-là, les ressources financières font gravement défaut pour soutenir des projets humanitaires –, mais c’est aussi une source de réflexion et d’amélioration de l’impact du projet.
David Grant-Poitras: Pouvez-vous présenter des exemples de projets menés par la Fondation KBF Canada ?
Benoit Fontaine : On peut penser à notre projet avec la communauté burundaise de Montréal et d’Ottawa visant à soutenir du microcrédit dans un camp de réfugiés à Kigali. Il s’agit de Burundais qui doivent quitter le Burundi et qui se retrouvent dans un camp de réfugiés au Rwanda, situé de l’autre côté. Au Canada, vous avez une importante communauté burundaise et ces gens sont venus nous trouver et nous ont demandé : « est-ce que vous trouveriez ça intéressant qu’on finance des projets de microcrédit pour aider des gens, principalement des femmes, qui sont dans ces camps afin qu’elles puissent créer leurs petites entreprises pour mieux s’en sortir ? » Nous avons donc créé un fonds et nous travaillons avec un partenaire local qui s’appelle la Maison Shalomet qu’on connaissait déjà, puisqu’on avait déjà travaillé avec ce partenaire à partir de la structure de Belgique.
Nous réalisons aussi des projets pour des pays européens. Je prends un autre exemple ici. Nous avons créé un fonds en l’honneur d’une dame belge du nom de Madeleine Crab qui est décédée dans les années 50. À sa mort, son fils, jeune adolescent s’est ainsi retrouvé orphelin et démuni. Toutefois, celui-ci – de son vrai nom M. Le Flem – avait du potentiel et a force de détermination et de courage il a pu entreprendre des études universitaires. Quelques années plus tard, M. Le Flem a eu l’opportunité de venir ici dans la ville de Québec pour occuper un poste de professeur à l’Université Laval. Il est encore à Québec, il a bien réussi dans sa vie et il souhaitait honorer la mémoire de sa mère en créant un fonds de dotation en son nom : le Fonds Madeleine Crab. L’objectif du fonds est de donner des bourses à des jeunes défavorisés qui vivent en Belgique pour leur permettre d’aller, tout comme lui, étudier à l’université. Sa propre histoire a ainsi profondément marqué ce projet philanthropique[1]. Tout l’enjeu est de trouver ces jeunes. Nous avons donc constitué un jury de six personnes en Belgique. Celui-ci sera chargé de recommander la candidature de certains jeunes en fonction de plusieurs critères comme le besoin, la situation de pauvreté, le potentiel, l’engagement dans la communauté, les résultats scolaires. Chaque année, on choisira qui pourra bénéficier d’une bourse. Les soutenir signifie leur donner de l’argent, mais aussi leur offrir un mentorat. Si par exemple un ou une jeune veut devenir avocat-e, on tente de lui trouver une expérience de stagiaire dans un cabinet. Donc on essaie de créer de la valeur tout autour du don d’argent. Cette histoire illustre très bien ce que l’on fait.
David Grant-Poitras: Et au niveau de la sollicitation, est-ce que les donateurs viennent entièrement à vous ou s’il y a un travail de mobilisation des communautés qui est à faire ?
Benoit Fontaine : Au début, il peut y avoir un petit noyau de quelques personnes de la communauté qui viennent nous voir, mais après, il faut organiser des évènements, il faut aller rencontrer d’autres personnes. Si on sait, par exemple, qu’une personne de la communauté a une entreprise qui a bien marché, alors on peut tenter de la mobiliser. Il y a tout un travail « d’aller vers ». Il y a des cas comme celui de M. Le Flem, mentionné précédemment, où il n’y a qu’un donateur. Mais il y a d’autres cas où on développe un partenariat avec quelques personnes de la communauté et où nous devons o mobiliser plus large. Ça dépend vraiment du modèle : ça peut être 100 contributions à 100 dollars, ou bien une seule contribution à 500 000$. Il peut arriver qu’un seul donateur puisse donner 7 ou 8 fois la valeur de ce que l’ensemble de la communauté a réussi à générer, mais ce n’est pas grave, on met tout ensemble.
David Grant-Poitras: Pour conclure, comment anticipez-vous le travail à venir pour KBF Canada dans les prochaines années ? Quels sont les principaux défis à surmonter pour la suite ?
Benoit Fontaine : D’abord il y a un défi en matière de communication, c’est-à-dire de faire savoir que c’est possible de réaliser des projets philanthropiques à l’international, et qu’en travaillant à l’international on ne perd pas forcément de gros frais de gestion,. Alors rendre accessible des projets très efficaces à l’international est un premier défi. Bien sûr le fait de travailler en réseau nous aide grandement.
Bien que nous exécutions certains projets par nous-mêmes, d’autres nécessitent des partenaires pour y arriver. Comme second défi, j’ajouterais donc d’identifier si on réalisait le projet en direct ou bien avec des agents locaux. S’il y a des agents locaux, il faut réussir à développer de bonnes relations avec eux pour chacun de nos projets où cela est nécessaire. Dans ces cas-ci – et plus particulièrement lorsque vous travaillez dans des pays en voie de développement avec de plus petites structures –, il faut faire une bonne analyse de la capacité réelle de l’organisme à mener le projet. En fait, on trouve de bons partenaires, mais il faut toujours croiser l’information. Je ne veux pas forcément croire ce que les gens me disent. On doit vérifier via d’autres sources et c’est très important. Si on décide de mettre un projet en œuvre avec un partenaire, l’important c’est que le partenaire ait de bonnes capacités de leadership; donc qu’on ait une bonne personne contact, qui est transparente, qui va répondre quand on va téléphoner par exemple. Bref, il faut travailler avec des partenaires qui soient réactifs. Donc la réactivité des gens sur place et leur transparence c’est vraiment des qualités qu’on recherche chez un partenaire et trouver de tels partenaires représente un défi important, surtout dans certains pays en développement où il faut être prudent. Il ne faut jamais se précipiter, mais ça ne doit pas représenter un frein pour la philanthropie, ce serait vraiment dommage.
[1]Pour une description plus détaillée de cette histoire philanthropique : https://www.kbfcanada.ca/fr/nouvelles/une-generosite-sans-frontieres/